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Saynète n° 78
— Señorita, ¿ quiere usted hacerme el honor de bailar conmigo ?
— Señor, estoy comprometida.
— ¿ Me atreveré a suplicarla para la segunda ?
— Señor, acabo de comprometerme…
— ¿ La tercera ?
— Tampoco.
— ¿ La cuarta ?...
Vulgo.
Poetas que recitan sus versos… Vulgo.
Acompañar a su mujer al baile y danzar con ella… Vulgo.
Aplaudir en el teatro… Vulgo.
Detenerse a ver desfilar la guardia que se muda, y marchar a compás desde que el tambor toca la caja… Vulgo.
Hablar de política en la mesa… Vulgo.
(Código de civilidad)
Juan Bautista Alberdi (« Figarillo »), La Moda. Gacetin semanal, de música, de poesía, de literatura, de costumbres, n° 9, Buenos Aires, Enero 13 de 1838 (repris dans Escritos satíricos y de critica literaria, Buenos Aires, Academia argentina de letras, Rivolin Hnos, 1986)
Lise Forment
17/03/2018
Buenos Aires, le 15 février 2018. J’entre dans la Librería del Colegio, c’est la plus ancienne librairie de la ville, située à l’angle des rues Alsina et Bolivar. Léger émoi, comme toujours, devant les rayonnages des livres ; plaisir enfantin, un peu snob et ringard sans doute, redoublé par la beauté et l’antiquité du lieu.
J’erre. J’ouvre les livres au hasard. Et très vite, ces Escritos satíricos y de critica literaria, et cette page précisément, portant en titre et en lettres capitales le mot CIVILIDAD. Transitions n’est jamais loin… De l’Argentine de 1838 à nous, la traduction semble se faire, cette fois-ci, presque sans heurt. Alors, pour un moment, je laisse entrer sur la scène de mes vacances cette série de saynètes : la balourdise d’un séducteur-valseur (dans les milongas, on doit parler avec les yeux) ; la récitation intempestive d’un Oronte argentin ; encore une histoire de bal-balourd, puis d’autres images, plus ou moins familières : un théâtre, un défilé, un dîner. Autre lieu, autre temps, mêmes mœurs ? La répartie de l’inséduite m’amuse — par civilité peut-être, un peu comme la Phylis de La Place royale, ou simplement par lassitude, j’aurais sans doute accepté le tour de danse…
Mon compagnon de voyage interrompt ma rêverie, il m’annonce qu’il va sortir m’attendre dehors, se dit désespéré à l’idée que j’achète encore un livre… Vulgo ? (Non, non, en toute franchise, la raillerie est bien méritée !)
Et je relis, et je souris : je n’ai jamais récité ni même fait lire mes propres vers, sauf pour jouer, et railler la faconde des mauvais séducteurs. Pour le reste : vulgo, vulgo, vulgo, vulgo… « Ça fait peuple », je suis du peuple. Tant pis, tant mieux. La scansion de la condamnation se mue en danse coupable.
Joyeusement, heureusement.
Car les scènes de sociabilité que nous pensons, à Transitions, et que nous nommons civiles (… ou transitionnelles !), n’ont que peu à voir, finalement (je crois), avec tous ces codes : galanterie, courtoisie, correction. Même si des formes et des manières y transitent…
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Peut-on lire un manuel de civilité, quel qu’il soit, sans y voir un pastiche ? Toujours à la manière de, les codes de bonnes manières ? Je ne connais pas ce « Figarillo[1] », mais avec un nom pareil, tout cela ne peut pas être bien sérieux !
[1] De retour, je cherche, et apprends honteusement mon ignorance : Alberdi est en réalité un très illustre personnage, dont l'œuvre et la pensée sont à l’origine de la Constitution de la République argentine… Un brin de déférence m’oblige ici à corriger tant de naïveté et de familiarité !