Adage n°40.4.
Dindon perché, temps moullé
Augustin Leroy
16/07/2022
Je trouve cet adage un tantinet déconcertant. La mémoire collective qui l’a retenu et inscrit dans son héritage avait-elle un peu bu ? Le lexique est bizarre : qu’est-ce que c’est que ce « moullé », sensé donné le fin mot du problème, par un jeu syntaxique tout aussi étrange, puisque la juxtaposition laisse supposer qu’il y a en réalité un lien de cause à effet entre la situation du dindon et l’évolution du temps. Mais de quel ordre ce lien peut-il être, sur quel ton le prononcer ?
(Curieux ) Dindon perché, parce que temps moullé ?
(Scientifique ) Voyez ! le dindon s’est perché mais le temps n’en restera pas moins moullé.
(Effaré ) Non seulement dindon perché, mais pire encore, temps moullé !
(Enfantin) : maman, maman, dindon haut, dindon haut, je moullé, je moullé…
(Maternel) : une poule… j’avais demandé une poule…
Question de philosophe : est-ce le dindon qui entraine la moulle du temps, est-ce le temps qui soulève le dindon sur un perchoir dont je m’imagine, fort de mes connaissances ornithologiques inégalées, qu’il est très haut, que le dindon en est très incommodé, et que le temps risque de lui tomber sur la tête, très exposée la tête du dindon, si « moullé » signifie « mouillé » et qu’il va pleuvoir, voire faire de l’orage. J’éprouve un mélange contradictoire de sadisme et de compassion pour ce pauvre dindon un peu idiot qui fait office de paratonnerre et de bulletin météo.
Oui, mais il faut encore s’assurer de Ce que « moullé » veut dire (titre d’une future anthologie de textes critiques portant sur la performativité du langage). Est-ce mouillé, l’adage s’inscrit-il dans la série des sentences confiées par l’homme des champs à l’homme des villes, qui déclare d’un air inspiré, le regard tourné vers le bleu du ciel et le front légèrement penché : le dindon se perche, il pleuvra ce soir…
Regard d’étonnement de l’homme des villes : ah, je croyais que c’était une question d’hirondelles volant trop bas.
Moue méprisante : rien à voir, les hirondelles volent, pas les dindons.
Balbutiements interloqués : mais enfin, il fait très beau et j’ai oublié mon K-way !
Le dindon glouglousse du haut de son perchoir.
Autre hypothèse, aussi vraisemblable que la première : le temps est « moulé », pétri, figé dans une forme ou une mesure qui est vouée à demeurer identique. C’est que l’orthographe de « moullé » est archaïque et que le dindon doit bien passer à la casserole. Le perchoir, par une délicate atténuation, désigne un billot, et le temps n’est pas la météo mais une durée de cuisson : dindon perché, repas dans deux heures, gare aux retardataires, qui seront perchés à leur tour.
Implacable objection : dindon varie, temps de cuisson aussi.
Je pioche des informations à droite et à gauche. Selon les uns, les pigeons se perchent dès lors que le temps restera au beau fixer. Selon les autres, cette attitude annonce la pluie. Il faudrait savoir…
En somme, il y a des adages qui favorisent le désir de plaisanterie et agrandissent l’imagination, plus qu’ils ne donnent des conseils pragmatiques. C’est pour cela que je les aime et en invente gaiement : rats en tête, fais la fête ; poule farcie, été joli ; merle en cage, mauvais ménage.