A quel moment de l’histoire de la critique le contexte est-il sorti du texte pour renvoyer à ce qui, autour de lui, le conditionne, le cause, l’explique, au point de devenir parfois l’objet exclusif de la recherche et de l’analyse littéraires ? L’avenir de l’histoire littéraire et du commentaire critique, bref, du rapport savant au texte littéraire, passera-t-il par l’incessant renouvellement des contextes, renouvellement qui, il est vrai, semble pouvoir assurer, presque à l’infini, celui des interprétations ?
Le mot apparaît en 1539 pour désigner l’« ensemble ininterrompu des parties d'un texte ». Cette valeur de continuité, qui s’est aujourd’hui perdue, est également présente dans le mot « contexture », « disposition et arrangement des parties » selon Furetière, et synonyme, au figuré, de ce premier sens de « contexte » : « On dit aussi dans le figuré, la contexture d'un discours, d'un Poème, en parlant de la suite, de l'arrangement, de la disposition de ses parties ».
C’est dans l’Encyclopédie qu’apparaît le sens actuel d’« ensemble du texte qui entoure un extrait et qui éclaire son sens » ; puis, traduit de l’allemand (plus précisément de la Critique de la raison pure en 1869), le mot se met à désigner l’« ensemble des circonstances dans lesquelles s'insère un fait ».
Tout vient donc du latin contextus, « assemblage, réunion ». C’est pourquoi nous vous proposons de rouvrir le lourd dossier du « contexte » par la « contexture », avec toute liberté de faire jouer des concepts voisins : situation, héritage, filiation, source, rhizome, réseau, racines, latences, écheveau, épistémé, monde, mode, milieu, climat, dispositif, agencement, économie, syntaxe, structure, tradition, etc. - sans oublier les inévitables inter-, hyper- et hypotextes du lexique critique. Il s’agira en effet de s’interroger moins sur la valeur d’un contexte et de sa construction que sur les deux gestes, trop souvent invisibles, de sélection et de liaison (de liaison causale, notamment) effectués chaque fois que l’on « contextualise » un texte ou un discours.
Aussi souhaitons-nous que, pour ce thème d’« Intensités », les contributions aient une dimension expérimentale : que se passe-t-il quand on varie les contextures ? Comment choisit-on une articulation du texte et du contexte contre une autre ? Va-t-on du texte au contexte, du contexte au texte ? Sur quel critère élit-on une interprétation : celui de la vérité ? de la causalité ? De la vraisemblance ? Du probable ? De la pertinence ? Ou du sens transmis, de son éthique, voire de sa politique ? Ou peut-être parfois, de sa beauté, voire de son éclat, des coups de théâtre qu’elle ménage ?
Bref, comment reconnaît-on qu’un contexte éclaire un texte ?
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