Florence Magnot Ogilvy

03/04/2021

 

Difficile de rester « nous » sans nous toucher, sans nous voir, à distance. Ce qui nous arrive ampute nos échanges de toute une série de signes. Faibles, infra-verbaux, non verbaux. Le constat est banal mais pour moi il s’accentue à mesure que j’emmagasine des expériences de malentendus, de troubles, d’opacités, toutes liées à la réduction des signes, à leur aplatissement, à leur appauvrissement. Mon « nous » est actuellement tout rabougri, recroquevillé. Mon « nous » n’est plus un organisme complexe. Difficile de faire exister un « Nous » quand « je » vis sur le mode de l’esquive, de l’évitement : j’évite de prendre la parole, j’évite de penser au mal qui est sur la terre, j’évite de penser trop large, j’évite de prendre position.

Nous poursuivons pourtant des conversations, nous tenons tout de même à certains fils. Je me concentre sur les intonations et les inflexions des voix que j’entends au bout du téléphone.

Je cherche, parfois je trouve, des espaces de jeu pour un « nous » réinventé parmi les autres.

Quand je marche dans la rue, je peux sourire béatement, je peux bailler jusqu’aux larmes, je peux avoir n’importe quelle expression, sous mon masque. Quand je croise quelqu’un que je connais, je peux prétendre que je ne l’ai pas reconnu. Quand j’ai l’envie ou le temps de parler, je peux facilement capter son attention, en augmentant d’un degré l’intensité de mon regard. Si l’autre n’a pas envie de me parler, il trouvera aussi des moyens discrets de m’éviter et je respecterai, en général, son choix. Pas toujours, parce que je peux aussi, par pure malice, me rendre inévitable.

L’espace de maîtrise des micro-signes, sous le masque, est un dérisoire dédommagement pour les nombreux et massifs renoncements auxquels la période nous oblige. Sous mon masque, je construis un petit espace de liberté. Dérisoire. Provisoire. Mieux que rien. Sur un mode éphémère, je choisis avec qui j’ai envie de devenir nous pour quelques minutes.