Sablier n° 10.6.

 

Ce qui nous arrive  n°6
 

Guido Furci

06/02/2021

 

D’Aurore Bergé je ne sais presque rien, sinon que son père a été la voix française de Sylvester Stallone. Je découvre aujourd’hui que dans le cadre du projet de loi contre le séparatisme elle vient de déposer avec Jean-Baptiste Moreau deux amendements. Si j’ai bien compris, le premier viserait à « interdire le port de tout signe religieux ostensible par les mineurs dans l’espace public » et le deuxième « à interdire le port de tout habit ou vêtement susceptible de signifier pour les mineurs l’infériorisation de la femme sur l’homme ». Dans un entretien accordé au Figaro, Aurore Bergé explique, entre autres, que « c’est insupportable de voir une fille de cinq ans porter un voile ». Sur les réseaux sociaux plusieurs réagissent à ces propos en se demandant s’il ne faudrait pas aussi interdire « le baptême, le catéchisme, la circoncision et les scouts », ou alors, pourquoi pas, les devoirs scolaires, sous le prétexte que n’importe quelle injonction vécue comme telle par l’enfant pourrait court-circuiter la notion, fondamentale, de consentement. Quant à moi, je me déconnecte immédiatement d’internet, par peur de tomber sur un commentaire de la LICRA, dont la teneur des tweets de ces derniers mois est l’une des raisons pour lesquelles je suis tenté de ne pas renouveler mon adhésion (tout comme mes engagements en tant qu’intervenant scolaire d’ailleurs)[1].

Je n’ai jamais su me penser en dehors d’un « nous ». Et pourtant, depuis le début de la pandémie je me demande avec une certaine insistance dans quelle mesure, au cours de ma vie, j’ai su me reconnaître véritablement dans un sujet pluriel ou dans une action collective quelconque. Une chose est sûre : au fil du temps, l’université est devenu le lieu de mes combats les plus importants, l’espace au sein duquel j’ai appris à exercer une fonction « sociale » au sens le plus riche du terme. Or, je sais qu’à l’université je ne suis pas seul ; et en même temps je sais que le fait de ne pas être seul au sein d’une réalité institutionnelle aussi complexe dépend surtout de ma volonté de ne pas l’être. Si un tel impératif est par moments très fatigant, c’est parce que préserver les équilibres indispensables à la réalisation d’une certaine collégialité n’est jamais évident, dans un contexte où les notions de « reproduction » et de « contestation » se côtoient plus qu’elles ne s’opposent. Évidemment, ça fait bizarre d’y penser, dans une période où l’université n’est plus un lieu physique et les échanges ne peuvent pas advenir autour d’une table.

Quand j’étais à l’école primaire, je passais pas mal de temps à jouer autour de l’église en bas de chez moi. Dans mon entourage tout le monde connaissait bien les prêtres de cette église : on les appelait « les prêtres communistes ». A posteriori, et compte tenu de ce que le PC a été dans mon pays, je comprends mieux pourquoi : ils contestaient ouvertement le pape au sujet du préservatif, ils organisaient régulièrement des cours d’éducation sexuelle pour les adolescents du quartier, ils ne s’opposaient jamais de façon radicale à l’avortement, ils n’étaient pas contre les unions (religieuses) des couples homosexuels, ils intervenaient sans aucune médiation auprès de toxicomanes et prostitués souvent totalement abandonnés par l’État, ils défendaient avec vigueur l’importance du dialogue interconfessionnel (en revendiquant par là une forme d’horizontalité nécessaire pour que toute confrontation puisse s’avérer productive sur le plan politique).

Un ami tchèque à qui j’ai raconté cette histoire un jour m’a dit : « au fond, dans ta ville, vers la fin des années 1980, il ne fallait vraiment pas grand chose pour être qualifié de communiste ! ». Vrai.

Et dans le « village global » dont parlait McLuhan à une époque déjà lointaine où, pourtant, pas mal de gens semblent avoir été en mesure d’imaginer la nôtre mieux que nous-mêmes ?

17 janvier 2021

[1] Cette affirmation nécessite une remise en contexte. Le 7 janvier dernier la LICRA a tweeté le message suivant : « Le maire de Bordeaux @PierreHurmic nous demande de participer à un plan de lutte contre le racisme et l’antisémitisme. Il invite à nos côtés l’UJFP [Union Juive Française pour la Paix], qui vient de publier le texte vomitif de Bouteldja, dont la 1ère demande est d’effacer le mot "antisémitisme". Ce sera sans nous ! ». Je peux être d’accord avec le fait que les textes de Houria Bouteldja sont souvent plus que contestables. Faut-il cependant qualifier le dernier en date de « vomitif », dans cette sorte de sms (même limite de signes, même type de fonctionnement), mais public, accessible à tous, en utilisant, au nom d’une association, le même type de vocabulaire (et, par là, de modalité communicationnelle) que les gens dont la LICRA cherche à dénoncer les démarches ? J’en doute. Faut-il le critiquer, sur la base de propos argumentés, en prenant le temps d’inscrire l’action d’un collectif dans une durée différente que celle d’un tweet ? J’en suis certain, au risque de paraître anachronique. Or, le tweet du 7 janvier intervenait dans la continuité d’une série d’autres tweets. Peu de temps avant, un individu se moquait de façon douteuse de Rudy Reichstadt, directeur de Conspiracy Watch (l’Observatoire du conspirationnisme et des théories du complot) : « Directeur de Conspiracy Watch ? Il est tout seul ! Et la question qui tue : il est financé par QUI ? Car les dépenses sont immenses (achats Google de mots clés) ! Ce monsieur refuse, en plus de débattre avec les "complotistes" ». Ce à quoi la LICRA avait répliqué : « Non. Il n’est pas seul. On a fondé un club de reptiliens cryptosionistes dirigés par des terreplatistes qui échangent par chemtrails codés. Au fait, les antisémites ont bien reçu votre tweet. C’est pratique pour nous, ça nous permet de signaler le cluster entier ! #gaindetemps ».

 

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