Sablier n° 8.1

 

Vie de famille n°8.1
 

Charlotte Taïeb

04/05/2020

 

Plus les jours passent, plus j'ai cette image en tête de moi-même comme ces animaux auxquels on retire la peau comme on leur retire un habit et soudainement sous le beau pelage du lapin apparaît la chair à vif, luisante, rouge, les muscles, les tendons, toute cette vie mise à nu.

Je reste la plupart du temps enfermée chez moi, protégée du dehors et pourtant, je me sens comme le lapin dépecé, sanglant. A vif.

« Tendue comme une corde à violon », dirait ma mère.

Tu me touches, je sursaute.

Le fait de ne plus jamais avoir deux minutes d'affilée de solitude et d'être sollicitée en permanence, me met dans un état de nervosité presque pathologique.

Je crie au lieu de parler.

Au lieu d'être blottie, confinée, protégée, recluse, je suis conviée, demandée, sommée, acculée, embrassée, caressée, tiraillée, écartelée.

Un baiser dans le cou, une petite main qui tire ma jambe pour grimper dans mes bras, Théo qui malmène mon bras pour que je le suive dans sa chambre.

Il y a dans cette maison un homme et deux garçons.

Une demande insatiable.

Je suis Sisyphe. Chaque jour, la tâche est renouvelée.

Mais je suis un Sisyphe amoureux de sa pierre. Un Sisyphe qui veut la rendre heureuse, la voir sourire.

Parfois cet état de nerfs m'inquiète. Mon corps est dur. Tout en tensions.

Pour un oui ou pour un non, j'élève la voix, comme pour leur faire peur, les éloigner.

Après, j'ai honte. Le soir, avant de m'endormir, très tard, je me fais des promesses :

« demain je serai plus douce, plus patiente ».

Yann me masse, je me détends. Je vais redevenir une bonne pâte molle, maternelle, tendre, dans les bras de laquelle on peut se blottir.

Autant de vœux pieux.

Nous sommes à l'intérieur, mais la vérité c'est que je n'ai plus aucun refuge.

Je suis une bête traquée.

 

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