Abécédaire
Hélène Merlin-Kajman
14/10/2017
Vous ne connaissez pas la bassitude.
C’est normal. Elle n’existe peut-être que dans ma tête.
La bassitude, ce n’est pas la bassesse, ce n’est pas le bas. C’est simplement l’inverse de l’altitude.
La bassitude nargue l’altitude (l’altitude est trop altière pour pouvoir narguer quoi que ce soit).
Elle s’inquiète d’elle aussi : « Descends, le loup va te manger, idiote ! ».« Descends, tu vas te casser les os, descends, voyons ! »
(Il y a des gens qui, un beau jour, brutalement, sont pris de vertige – comme les chats. On appelle les pompiers, la grande échelle, etc.)
Quand Altitude se hâte d’un pas allègre pour atteindre un sommet, embrasser un horizon, Bassitude, harassée, décide d’arrêter là les frais et dégringole la pente sans avoir rien vu d’en-haut.
La bassitude est entêtée. Elle soutient qu’on est tous mortels à la fin des fins.
Gilbert Cabasso a raison de dire qu’on aime ou qu’on n’aime pas l’altitude. Moi, j’aime la bassitude. Je l’aime même à la folie.
Je prends une pâquerette dans l’herbe (notez bien que l’herbe doit être bien rase pour qu’on voie des pâquerettes), et là, nonchalamment (ou fiévreusement), je l’effeuille.
Ce n’est pas sorcier. Ce n’est pas sérieux. C’est familier, sans dignité. Joyeux, ou tremblant, ou perplexe. Mais toujours simple (comme on dit simple d’esprit).
Le moment où je sens la bassitude dans sa vraie basséité, c’est lorsque je prends l’avion et qu’on atterrit. « Nous allons commencer notre descente » me paraît la phrase la plus exquise du vol. L’appareil commence à baisser. L’expression « le plancher des vaches » m’émeut jusqu’aux larmes et mon corps en vibre d’émotion.
Je me souviens que pendant que j’allaitais, j’ai rêvé qu’on sonnait à la porte. J’allais ouvrir : c’était une vache. Je n’avais pas besoin de la saluer : elle entrait à pas lents, doux et résolus, dans l’appartement.
On peut rêver de bassitude. Aucune grenouille ne viendrait à en crever.
Mais attention ! La bassitude, ce n’est pas l’humilité non plus. C’en est même le contraire. Même si ça lui arrive d’abaisser qui se vante, la bassitude est tout à fait placide, indifférente même. Comme elle se fiche complètement du haut, elle ne se compare à rien.