Mathilde Faugère,
Tiphaine Pocquet
Novembre 2015
Le culot d'espérer
Anne E. Berger dans son Discours de réception de la Légion d'honneur, dit, de cet honneur : « je vous le dois, littéralement et dans tous les sens. Il reste dû par moi, à la légion sans frontières et sans armes que nous formons, que vous formez, au moment où je le reçois. Permettez-moi de vous le rendre, tout en continuant à vous le devoir ». Topos de cérémonie ? Nullement : ce geste résonne ici de manière singulière, dans ce mouvement de réception et de relance si fort et si élégant. Car il s'inscrit dans un présent vrai : au-delà des travaux, des compagnonnages, des avancées dans les études de genre – ce qui autorise Anne Berger à saluer, contre toute évidence stéréotypée, le courage des jeunes américains « testostéronés », dans le train les menant d'Amsterdam à Paris.
C'est ce geste que nous voudrions retenir en relisant la floraison de textes de ces dernières semaines. Dans la fable d'Hélio Milner, « Les Animaux malades de la peste », l'enfant est là, répondant à la voix mélancolique du fabuliste, pour réouvrir le temps long du collectif où une résistance semble possible. C'est ce même enfant peut-être, lutteur pour la fragilité, l’âne de la fable, qui revient chez Henri Ekman. Il porte cette fois un chiot dans les bras, et tient l’œil fixé vers l’avenir. Nous retrouvons souvent Helio Milner et Henri Ekman, nous les suivons sur les chemins de mots, de couleurs et de traverses qu’ils tracent, nous les verrons désormais réunis. La rubrique « Juste… » change d’organisation, elle se présente de nouveau à vous, clarifiant sa vision, dégageant son rythme propre, se voulant, plus que jamais, « espace transitionnel », « sens dans les interstices ».
Prendre et relancer, lire et faire surgir du sens, c'est aussi le geste de nos saynètes : celle de Benoît Autiquet sur Maupassant, qui tente de rendre justice à une affection mal comprise pour Georges du Roy ; celle de Tiphaine Pocquet qui s'interroge sur une possible civilité critique dans nos lectures de Molière ; celle de Gilbert Cabasso enfin, qui, montre comment Simone et André Schwarz-Bart, dans L'Ancêtre en solitude, transforment le texte, l'écrit, en un lieu où l'oralité se dévoile et où l'écriture devient l'objet du désir, image de « l'infini des possibles ».
Certes, la relance n’est pas toujours aisée : la lecture de nos définitions le montre. D’un côté, le corps, vu de l’intérieur et de l’extérieur – forme d’un Cheval, chimère piaffante, irruption du Borborygme, qui étouffe la voix – de l’autre, l’idée – un Chaos mathématique et bordélique, un Capital à demi clos, Chose= x. Ça craque : ça résiste (Craquement n° 2), ça fait du bruit, ça se met en colère (Craquement n° 1).
Est-ce à dire que ça casse ? La relance est-elle impossible ? A voir, l’issue n’est finalement pas si claire : l’arbre qui craque ne rompt pas toujours – Helio Milner rêve d’un monde où ce craquement (Craquement n°3) dit le mouvement et non la rupture. On trouve des éclats de littérature dans le chaos et le borborygme, un La Fontaine – celui des fourmis, des cigales (Capital n° 2), des arbres et des roseaux – se promène.
La fable, le rêve, la littérature comme relance. Peut-être nous trouverez-vous culottés (Culot)… serait-ce une mauvaise chose ?