Abécédaire
Gilbert Cabasso
7/11/2015
C’est un bruit dont on aurait du mal à tirer la moindre musique. Le souffle peut chanter, le choc peut rythmer ou accompagner une mélodie, le marteau frappe la corde et en fait varier la hauteur sonore, l’archet grince. Mais quel instrument pourrait produire un craquement, sinon par un malencontreux accident ?
Un craquement sec claque et se multiplie parfois en répliques successives, en échos saccadés, quand, par exemple, on abat un arbre, quand sa chute en casse les fibres sèches les unes après les autres, avant qu’il ne tombe.
Parfois, l’accident d’un mouvement fait craquer les os mal articulés, là où ça bloque, où ça se heurte, où ça résiste. Je peux faire craquer mes doigts, les uns après les autres, irritant ceux qui les entendent. Le craquement indique alors le manque d’une souplesse, d’une continuité, d’une fluidité dans le mouvement, la brusquerie du passage que l’on force d’un état à l’autre, d’une posture à l’autre, sans transitions.
On se demandera si craquer est un verbe actif. J’en doute : on peut faire craquer quelque chose, par mégarde, une allumette met le feu aux poudres, le craquement annonce l’explosion. Le vieux monde craque, « la raison tonne en son cratère », c’est l’irruption du nouveau qui se fait annoncer.
Il m’arrive aussi, quelquefois, de craquer! Ou de menacer que ça arrive… J’explose d’exaspération, de colère, de rage, avant de m’effondrer, comme le vieil arbre qui tombe. Le pire est peut-être de craquer du dedans, sans que cela s’entende ou se voie.
On remarquera, enfin, que le craquement n’accompagne pas si bien ce mouvement passionnel et passif que nous éprouvons devant l’objet dont on dit qu’il est « craquant », qui éveille en nous tendresse et désir, devant lequel nous ne résistons pas et nous abandonnons.