Hélène Merlin-Kajman
17/10/2015
Le borborygme, nous informe le dictionnaire, est un bruit d’intestin – ou plus exactement, d’air dans les intestins : glou-glou, dit le gargouillis.
On peut en être gêné : ça dépend des circonstances (cf. la perplexité de Benoît Autiquet, et son parcours).
Mais cet aspect-là des choses, à la vérité, m’est assez indifférent. Serait-ce parce qu’une femme est généralement plus habitée qu’un homme par l’existence de son ventre ? (Il fut un temps du féminisme où les flux et reflux corporels du dedans étaient, dans leur féminine différence, surinvestis).
En fait, personnellement, je n’entends pas bien l’onomatopée intestinale dans « borborygme ». Je lui en substitue une autre, plus douloureuse, plus lancinante : l’étranglement du son dans la gorge.
Brutalement, sous l’invasion d’une émotion panique, la voix ne peut plus former le mot ; la phrase ne s’arrondit pas, ne veut pas se déployer. Ce qui sort de la bouche est informe, saccadé, un signal de détresse confinant à la nausée. On dirait qu'arraché à la poitrine, le cœur lui-même se présente sous la langue ; et qu'il obstrue. Le borborygme engloutit la parole, fait un couac.
On sait depuis Aristote que le féminin s’y rejoue, mais cette fois sans différence anatomique aucune puisque tout homme en peut être touché.
Cependant, il arrive qu’un tel son trouve une intensité miraculeuse. La douleur balayée, l’angoisse dissipée, il arrive qu’il devienne extase, roucoulement.
Et voilà : la littérature, ou tout ce que j’aime en littérature, se trouve pour moi tendu(e) entre ces deux extrêmes.
Bien sûr, les variations, les possibles, les détours et les paysages, en sont infinis. Mais si elle refuse de toucher à ces deux bords qui défont le logos sous notre langue, la littérature ne m’intéresse pas plus que le borborygme au premier sens du terme.