Calendrier du séminaire
Année 2017-2018
Le séminaire de Transitions se tient généralement le samedi de 10h à 13h, au Centre Censier.
« Partages transitionnels » : la littérature approchée
Programme
Vous pouvez dès à présent réserver les dates suivantes !
Samedi 21 octobre (Censier, salle 410) : introduction par Benoît Autiquet, Lise Forment et Sarah Nancy.
Samedi 18 novembre (Censier, salle 410) : « Trigger-warning, civilité et transitionnalité », présentation d'Hélène Merlin-Kajman.
Samedi 25 novembre (Censier, salle 453) : attention : séance reportée.
Samedi 16 décembre (Censier, salle 410) : séance de lecture et de discussion autour de nos Fragments.
Samedi 27 janvier (Censier, salle 410) : rencontre avec Florence Dumora, maître de conférences à l'Université Paris Diderot.
Samedi 10 février (Censier, salle 422) : Séance de lecture : « Styles de partage et medium des arts ». Présentation assurée par Benoit Autiquet, Hélène Merlin-Kajman, Sarah Nancy.
Samedi 17 mars (Censier, salle 330) : Séance de lecture : « Styles de partage et medium des arts 2 ». Présentation assurée par Hélène Merlin-Kajman.
Samedi 7 avril (Censier, salle 330) : Séance de lecture : « Révéler la lecture : neurosciences et approches cognitives ». Présentation assurée par Mathilde Faugère et Lise Forment.
Samedi 28 avril (Censier, salle 330) : attention : séance reportée.
Initialement prévue ce jour-là, la rencontre avec Michèle Rosellini, maîtresse de conférences de littérature française (IHRIM - ENS de Lyon), est reportée à une date ultérieure.
Samedi 26 mai (Censier, salle 330) : Séance de lecture et de discussion autour de la journée d'étude à venir sur « Littérature et universel ». Présentation assurée par Hélène Merlin-Kajman, à partir de la lecture d'Étienne Bimbenet (Le Complexe des trois singes. Essai sur l'animalité humaine).
Samedi 23 juin (Censier, salle 330) : Rencontre avec Marc Hersant, professeur de littérature française à l'université Sorbonne Nouvelle - Paris 3.
Vendredi 29 et samedi 30 juin : Table ronde « Littérature et universel ». L'argument est disponible ici.
Jean-Baptiste Greuze, Le Petit Paresseux, 1755 (Montpellier, Musée Fabre)
Argument
Endormi sur son livre, immergé dans ses rêves : contiguïté ou incompatibilité ? ennui ou ravissement ? Le « Petit Paresseux » n’emblématiserait-il pas un certain nombre de questions que la critique se pose aujourd’hui, non moins qu’un certain nombre de difficultés rencontrées dans le rapport actuel au livre, au texte ?
L’année dernière, le séminaire de « Transitions » s’est penché sur ce que d’aucuns nomment le « tournant éthique[1] » des études littéraires : récusant la définition autotélique de la littérarité, beaucoup mettent désormais en valeur la capacité des textes à enrichir notre perception des situations morales. Dans cette perspective, la littérature serait une description de la réalité plus complexe que celle délivrée par la philosophie ; le lecteur, placé au cœur de ce monde représenté en détail, s’exercerait à faire des choix moraux dans des situations ambiguës[2]. D’autres courants critiques, moins soucieux d’éthique, partagent néanmoins la volonté de décrire le lecteur dans une proximité immédiate avec le monde représenté, aux antipodes de l’« ironie vis-à-vis de tout énoncé ou tout discours [prétendant] dire quelque chose de crédible sur le monde[3] » – distance critique qui caractérisait jadis le lecteur idéal. Ainsi, Jean-Marie Schaeffer intègre la lecture littéraire à un ensemble plus vaste d’activités (jeux, cinéma, jeux vidéos) caractérisées par leur pouvoir d’immersion, et par leur capacité à créer des « (quasi-)illusions perceptives » : le lecteur, dépassant, pour ainsi dire, la barrière du signifiant, se trouve selon lui en contact direct avec le référent[4]. Par ailleurs, la notion de « lecture empathique », ou l’insistance sur le rôle des sens dans l’expérience de lecture[5], reposent sur des travaux de neuroscience qui ont démontré que « les neurones moteurs s’activent aussi bien quand le sujet réalise une action que lorsqu’il voit quelqu’un réaliser une telle action, ou lorsqu’il s’imagine la réalisation de l’action[6] ». Le lecteur est ainsi amené à simuler ce qu’il lit, et il est captivé, à même son corps, par le monde représenté. Dans ces lectures éthiques, immersives, empathiques ou sensitives, le langage littéraire ne se définit plus du tout par sa capacité à se dénoncer comme représentation ; on mesure au contraire son efficacité à son pouvoir de plonger le lecteur dans le monde qu’il représente, à lui faire croire que ce monde est présent.
Hélène Merlin-Kajman, dans L’Animal ensorcelé, prend ses distances avec un tel modèle. À la « captation » et à l’« hypnose » qu’exerce Le Comte de Monte-Cristo, elle privilégie le modèle qu’elle trouve chez La Fontaine : celui d’un texte qui peut « produire une simple articulation, frayer le passage de la zone ensorcelante du langage à sa zone intelligible, passage [...] où s’ouvre une possibilité de subjectivation aérée, quand le sujet devient capable d’exercer son jugement sans devoir perdre pour autant le contact avec ses constituants primordiaux et informes[7] ». C’est pourquoi, pour désigner le rapport au texte du lecteur ou de la lectrice, nous proposons, à la place des termes précédemment évoqués, celui d’« approche » qu’emploie Florence Dumora dans un très beau texte paru sur le site de Transitions[8]. Ce terme ne définit pas a priori une position du lecteur, mais lui laisse la latitude de s’immerger dans le référent ou de revenir à la surface du langage, comme le spectateur d’un tableau qui, alternativement, s’avance et se recule pour voir le détail ou considérer l’ensemble. La notion d’« approche » évite ainsi de déduire trop rapidement du plaisir de la lecture une proximité du lecteur au monde représenté : l’une des vertus du langage littéraire n’est-elle pas, au contraire, sa puissance d’abstraction[9] ? Enfin, elle tend à rompre le solipsisme qui menace le lecteur immergé, en laissant une place au partage de l’œuvre. Nos premiers rapports, enfantins, à la lecture et à la littérature passent par la médiation d’autrui[10], par la voix de parents ou d’enseignants : nous tentons par le terme d’« approche » de rendre compte de la pluralité des lectures et du caractère plus mêlé qu’il n’y paraît de la lecture individuelle et silencieuse. Sans revenir à la distance critique et au soupçon porté sur la représentation, l’« approche » nous permettra d’esquisser ce que peut être l’« espace transitionnel » de la lecture, qu’il soit constitué par l’imagination, l’abstraction, l’ennui, la rêverie ou le partage.
« Approches de la lecture », et même plutôt, « littérature approchée » : l’expression s’entendra de deux manières au cours du séminaire, selon la traditionnelle amphibologie du génitif. Dans une perspective descriptive, il s’agira de s’intéresser aux diverses manières de décrire les lecteurs et de mesurer leur distance au texte (lecteur ou lectrice immergé.e, sentant, simulant, imaginant, concerné.e, participant, etc.). Dans une perspective programmatique, on s’efforcera de définir ce qui pourrait être, dans une conception « transitionnelle » de la littérature, l’approche optimale – à la fois degré de proximité immédiate avec le texte, position critique et éthique de la transmission – en laquelle pourrait consister la lecture.
[1] Voir le programme du séminaire 2016-2017 dans nos archives (les enregistrements de ces séances seront bientôt disponibles). URL : http://www.mouvement-transitions.fr/index.php/presents/archives/seminaire-2016-2017.
[2] C’est, par exemple, la position d’un Jacques Bouveresse, dans La Connaissance de l’écrivain. Sur la littérature, la vérité et la vie (Marseille, Agone, « Banc d’essais », 2008), qui croise les travaux de Martha Nussbaum et Sandra Laugier en philosophie morale.
[3] Jérôme David, « Chloroforme et signification : pourquoi la littérature est-elle si soporifique à l’école ? », Etudes de lettres [En ligne], 1 / 2014, mis en ligne le 15 mars 2017, consulté le 09 octobre 2017. URL : http://edl.revues.org/604.
[4] Jean-Marie Schaeffer, Pourquoi la fiction ?, Seuil, 1999.
[5] Voir le colloque Empathie et esthétique, dir. B. Vouilloux et A. Gefen, Paris, Hermann, 2013, et Pierre-Louis Patoine, Corps/texte. Pour une théorie de la lecture empathique. Cooper, Danielewski, Frey, Palahniuk, Lyon, ENS Editions, 2015.
[6] Antonio Rodriguez, « La critique littéraire rend-elle plus empathique ? », in« Dossier Empathie », consultable sur le site fabula.org. URL : http://www.fabula.org/atelier.php?Critique_et_empathie#_edn16.
[7] Hélène Merlin-Kajman, L’Animal ensorcelé. Traumatismes, littérature, transitionnalité., Paris, Ithaque, coll. « Theoria incognita », p. 313.
[8] Florence Dumora, « Vertus de l’approche », in « Intensités », « Transition », consulté le 09 octobre 2017. URL : index.php/intensites/transition/sommaire-general-de-transition/496-nd2-vertus-de-lapproche.
[9] Pour un exemple de lecture critique qui met en avant la capacité d’abstraction de la fiction littéraire, voir J. David, Balzac, une éthique de la description, Champion, 2010.
[10] Voir notamment sur ce sujet la première question du questionnaire sur les usages de la littérature du mouvement « Transitions ». (URL : index.php/d-experience/questionnaire, page consultée le 13 octobre 2017.)