Sablier n° 1.15.
Virginie Huguenin
10/05/2020
J'habite au 17, rue des Récollets. Pour venir chez moi, il faut traverser un parking, puis le bâtiment « Grand Escalier » de bout en bout pour arriver dans une petite cour, face à un petit pavillon que jouxtent deux immeubles. J'habite Escalier B, et je me trouve si loin de la rue que je ne la vois ni ne l'entends. J'ai fleuri mes bords de fenêtres – j’en ai fait un petit jardin. Et j'ai fermé les yeux sur le reste du monde. Je ne m’intéresse pas tellement aux nouvelles mais j'écoute les oiseaux qu'on entend de nouveau clairement depuis le début du confinement. Un merle a élu domicile dans la petite cour et j’ouvre grand les fenêtres quand je l’entends. Mon oxalis s’épanouit magnifiquement et j’ai replanté deux énormes plants de basilic.
Ma propre tranquillité m'étonne cependant que j'en interroge les origines : d'où vient mon calme quand tout semble lâcher ? Je renoue avec une activité depuis longtemps délaissée : le tricot. Ma grand-mère qui me l’a enseigné et que j'informe de mes prouesses soupire et, me dit, soulagée : « C'est bien ma fille. Je suis contente ». Et je tricote, calmement, des chaussons pour bébé que je fais toujours trop grands.
A une vingtaine de kilomètres de moi, à Villepinte, où vivent mes élèves, je sais que la situation sanitaire et sociale est des plus catastrophiques. A cela s'ajoute la détresse psychologique des familles confinées dans des conditions difficiles. J’ai pu entendre parler à la radio de la réouverture des écoles et des dispositifs qui devront être mis en place pour accueillir les élèves et les personnels en toute sécurité : masques, gel hydro-alcoolique… En temps normal, dans mon collège, les élèves n’ont pas de savon dans les sanitaires pour se laver les mains. Il fut un temps où j’arrivais chaque matin plus tôt pour faire le ménage dans ma salle car les agents d’entretien manquaient. Et il m’’arrive souvent, encore, d’en vider moi-même les poubelles. La réouverture des classes dans les milieux défavorisés, je le crains, n’est pas pour tout de suite. Cette crise sanitaire frappe d’autant plus ceux qui d’ordinaire n’ont déjà presque rien.
Mon impuissance est grande et, pendant un temps, j'ai mal vécu ce confinement heureux qui m'était offert quand certains de mes élèves sont en deuil ou souffrent de la faim. J'ai espéré cependant que mon calme et ma tranquillité, fruit d’une construction lente dont j’implante les fondements au pied d’un vieux poirier et de ma grand-mère qui toujours tricotait, leur seraient d'une grande aide quand nous nous reverrions. Je maintiens à distance une présence auprès d’eux, que je veux attentive et chaleureuse. Et je continue de tricoter en pensant au moment où nous nous retrouverons.