Sablier n° 5.1.
Noémie Bys
20/04/2020
Le geste pour soi et pour l’autre, il n’en reste que la forme symbolique. Une attention suspendue, qu’il faut retenir, c’est la barricade qui devient l’ombre d’une civilité. A distanciation sociale, il faut réapprendre à penser à l’autre.
Mon occupation nécessaire et privilégiée du moment consiste à me poster à la fenêtre, à hauteur de mes aromates suspendus, et observer les gestes de ceux qui passent. Le plus souvent prévoyants lorsqu’ils sont deux, machinaux lorsque seuls sur le trottoir. Ce sont souvent les mêmes.
Je me souviens alors :
Nous marchions côte à côte, un orage dans la poitrine, et les silences nous rendaient maladroites, de sorte que parfois nous nous effleurions.
C’est ce risque-là qui continuellement rejaillit dans mes rêves, et que je voudrais lancinant. Un pas de côté, et la collision érotique, le rougissement qui s’ensuit, et la main posée sur le bras, pour un pardon diabolique, du bout des lèvres.
Bout des lèvres qu’on ne voit plus.
L’effleurement passera maintenant par les yeux, le rougissement par un soupir – à entendre du bout du cœur.
Un geste téléphonique pour préserver la parole, il n’y a plus de pudeur à raconter le rien : c’est une abolition de l’extraordinaire. Je n’empêche pas un geste quotidien à penser à toi. Nous partageons nos romans, c’est un geste de trottoir à trottoir. Et puis geste de lecture, c’est miss Marple le soir : sur un ton brinquebalant - on ne s’improvise pas troubadour de la nuit.
Les gestes sont encore nombreux, mais trop timides à réinventer, car l’on pense à ceux d’avant lorsque ceux d’après, imprévisibles, recouvrent les pires peurs d’une tendresse décalée. L’effleurement a disparu, par indécence, et ceux que l’on aime sont loin lorsqu’ils restent tout près. C’est une veille gestuelle, sans corps, seulement des pensées que j’envoie parce que l’inattendu m’inquiète ; et la pénombre solitaire coupe l’herbe sous les pieds des méditations monochromes. Les quatre murs s’usent et cèdent, trop petits pour envisager le trop.
Je pense aux gestes, et je ne peux rien faire.