Exergue n° 46
« Nous sommes des femmes et
des hommes du vingt-et-unième siècle,
et nous devons maintenant
apprendre à vivre entre les langues.
Dans l’inquiétude informe, métamorphique
de toute chose. L’effroi au-dessus de nos têtes.
Partout, l’inquiétude.
Le tremblement, là, au bout du jardin,
et la sonnette du portillon qui annonce encore,
toujours, que le temps des monstres
et des catastrophes n’est pas
derrière nous. »
Camille de Toledo, L'Inquiétude d'être au monde,
Paris, Verdier, pp. 58-59.
Gilbert Cabasso
22/09/2012
Camille de Toledo s’en tient à des énoncés d’une déconcertante clarté. Celle qui bruisse encore du « premier babil » de l’enfant « capable de parler toutes les langues du monde ». Quand advient cette conscience d’avant LA langue, se brouillent les certitudes d’un faux universel. Toutes choses vacillent. Toute la mémoire du monde nous mène à ce vacillement. Le contraire de la naïveté, l’alourdissement de toute perception, convertissant le moindre geste, le moindre mouvement, le moindre son en indice du pire.
Transie d’effroi, l’annonce des catastrophes se nourrit de nos veilles historiques. Il nous faudrait la force de vertiges reconnus pour fonder une « école de l’entre », qui nous conduise au-delà des « nations tenaces » (p. 44), transitant de l’horreur d’hier aux apprentissages muets. J’entends ce tâtonnement indécis, cette indétermination délibérée, ce très incertain cheminement vers ce qu’il nomme « l’impermanence » comprise. L’ « école de l’entre » est sans doute l’impérative ouverture qu’exigent « les ruines des mots-tueurs », fumant encore des balles folles et froides d’Utoya.
« Dans le berceau de toutes les divisions,
classes et distinctions,
naîtra une école du vertige » (p. 44)