Exergue n° 49

 

  

« Voyons, maintenant, comment le Musicien a exprimé cette marche secrète du cœur d’Armide. Il a bien vu qu’il fallait mettre un intervalle entre ces deux vers et les précédents, et il a fait un silence qu’il n’a rempli de rien. […]

 Pas une altération qui puisse indiquer le changement prodigieux qui se fait dans l’âme et dans les discours d’Armide. […]

Voilà certainement le moment le plus violent de toute la scène. C’est ici que se fait le plus grand combat dans le cœur d’Armide. Qui croirait que le Musicien a laissé toute cette agitation dans le même ton, sans la moindre transition intellectuelle, sans le moindre écart harmonique, d’une manière si insipide, avec une mélodie si peu caractérisée et une si inconcevable maladresse, qu’au lieu du dernier vers que dit le Poète,

                               Achevons ; je frémis. Vengeons-nous ; je soupire.

 Le Musicien dit exactement celui-ci.

                               Achevons ; achevons. Vengeons-nous ; vengeons-nous. »

Jean-Jacques Rousseau, Lettre sur la musique françoise,
dans Œuvres complètes V : Écrits sur la musique, la langue et le théâtre,
Paris, Gallimard, 1995, pp. 324-326.

 
 



Sarah Nancy

13/10/2012

Et voici Rousseau qui s'applique à s’indigner, à s’acharner. C’est la musique de Lully que vise son ironique analyse, et, avec elle, toute la musique française, qu’il juge plate, rude, incapable de traduire les élans du cœur, insensible à l’impalpable « mélodie » des émotions.

On pourrait dire que Lully connaît d’autres transitions, qu’il sait diriger sa musique depuis la langue, faire lien non seulement avec les voyelles accueillantes, mais aussi avec le heurt des consonnes, et saisir l’articulation dans les frictions et les « silences ».

Mais laissons Rousseau ne pas entendre… Si son exigence de « transition » traduit la croyance en la capacité de la musique à exprimer la « marche secrète du cœur », c’est-à-dire à nous mettre en rapport avec le mouvement, le battement d’un cœur qui n’est pas le nôtre, nous le suivons.

 

Powered by : www.eponim.com - Graphisme : Thierry Mouraux   - Mentions légales                                                                                         Administration