Exergue n° 125

 

« […] la poésie moderne s’engage dans une entreprise dont la poursuite intéresse l’intégration de l’homme. Il n’est rien de pythique dans une telle poésie. Rien non plus de purement esthétique. Elle n’est point art d’embaumeur ni de décorateur. Elle n’élève point des perles de culture, ne trafique point de simulacres ni d’emblèmes, et d’aucune fête musicale elle ne saurait se contenter. Elle s’allie, dans ses voies, la beauté, suprême alliance, mais n’en fait point sa fin ni sa seule pâture. Se refusant à dissocier l’art de la vie, ni de l’amour la connaissance, elle est action, elle est passion, elle est puissance, et novation toujours qui déplace les bornes. L’amour est son foyer, l’insoumission sa loi, et son lieu est partout, dans l’anticipation. Elle ne se veut jamais absence ni refus. »

Saint-John Perse, Poésie, « Allocution au Banquet Nobel du 10 décembre 1960 »,
in Amers, NRF, Poésie/Gallimard, p. 169.

 
 



Gilbert Cabasso

14/06/2014

  

De cette modernité, serions-nous encore les sujets ? Saint-John Perse inscrit son exigence dans une temporalité qui lui échappe et le déborde. A sa mesure, notre présent s’effrite, s’étiole et nous ferait rougir. Et si la « poursuite » de son entreprise « intéresse la pleine intégration de l’homme », risque de s’annoncer notre propre désintégration. La vertu poétique ne nous fera-t-elle pas défaut, de ne plus savoir quelles bornes déplacer ? Notre salut viendra de puiser nos forces aux forces du passé, celles-là même qui promettaient en d’autres temps l’universelle insoumission.

« Une même vague par le monde, une même vague depuis Troie
Roule sa hanche jusqu’à nous. Au très grand large loin
de nous fut imprimé jadis ce souffle… »

Amers, IX, 1, p. 80.

  

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