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Exergue n° 167
C’est un dictamen infantiae[1] qui donne à « partager le récit », à « partager le jugement[2] », c’est-à-dire à partager quelque chose de partageable tout en faisant partager que c’est impartageable, l’un attenant à l’autre dans une relation de coappartenance. Il y a là l’allégation d’une absence dont on ressent le manque itératif, dont on part à la trace et qui nous laisse en attente et en désir définitifs. Car, ce qui est donné à partager est une désolation.
Gérald Sfez, Logiques du vif. Lyotard en éclaireur, Paris, Hermann, 2016, p. 290.
Hélène Merlin-Kajman
05/05/2018
Plus haut, dans une note (p. 90), Gérald Sfez a cité une phrase de Malraux pour souligner sa proximité avec Lyotard : « Notre culture n’est pas faite de passés conciliés, mais de parts inconciliables de passé. […] Qu’échangeraient, au bord du Styx, Aristote et les prophètes d’Israël, sinon des injures ? ».
Mais, explique Gérald Sfez, Malraux appelle de ses vœux une réconciliation dans un humanisme encore à concevoir. Pas Lyotard. Car pour ce dernier, l’inconcilié est d’abord en nous – de la désolation en partage.
Et c’est d’abord ce différend qu’il convient de ne pas étouffer en litige.
Je comprends donc qu’il convient de lire ensemble Aristote et les prophètes d’Israël (et tant d’autres…) en écoutant leur différend sans jamais le réduire en litige : et je comprends encore qu’il s’agit là d’un exercice intérieur avant d’être celui d’un jugement portant sur le monde « extérieur ».
On ne débattrait, on ne se disputerait, on n’agirait (car on doit agir) que sur fond de ce vacillement – tandis que nulle transitionnalité ne se donnerait pour but de le stabiliser harmonieusement.
Ce qui fait figure bien sûr.
… Les litiges ne sont jamais bons s’ils créent plus de différends qu’ils n’en résolvent – différends qu’ils ne résolvent jamais, de toute façon, qu’en laissant intacts des bribes des anciens torts ou en en recréant de nouveaux…
Et cela n’est « digérable » qu’à condition de partager la désolation…
[1] « Ce que dicte l’enfance » (Note. HMK).
[2] Jean-François Lyotard, Lectures d’enfance, Galilée, 1991, p. 76.