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Exergue n° 148

 

 

 

Le complexe signifie, en principe, que le réel multiple ne peut être perçu selon des formules simples et unificatrices qui pourraient en rendre compte à partir d’un minimum de « théorèmes » et d’hypothèses ; qu’il faut pouvoir accepter, entre autre chose, que le multiple du réel ne se dirige pas, dans un devenir inévitable et orienté, vers un point final où tout s’expliquerait et se simplifierait ; que les choses, les processus se déploient dans des devenirs contradictoires et multiples de niveaux de moindre organisation vers d’autres de grande complexité, ou inversement. C’est pourquoi les traditions révolutionnaires, contestataires et alternatives qui n’ont pas eu le courage de penser avec et au sein de la complexité se sont détachées du réel.

Mais, aujourd’hui, le complexe s’est transformé en une véritable idéologie liberticide, puisqu’en son nom on avance que l’on ne peut rien faire, que tout existerait dans une telle intrication qu’une coupure ou une action quelconque ne pourrait, en dépit de ses intentions, que se transformer en un cauchemar. Le complexe a donc produit, paradoxalement, une idéologie très « simpliste ». Il suffit en effet d’énoncer le terme même de « complexité » pour justifier l’immobilisme : tout est « tellement complexe »… 

[…] Pour éviter cette impuissance, la politique situationnelle reconnaît et accepte dans les niveaux croissants de complexité le développement de « tendances » contradictoires. Et elle privilégie « en situation » des pratiques et des énoncés fortement consistants, condition pour développer la puissance, c’est à dire des contre-pouvoirs qui « marquent des tendances » dans la complexité sans jamais avoir pour objectif de l’ordonner. 

Miguel Benasayag et Diego Sztulwark, Du Contre-pouvoir, La Découverte, 2003, p 90-91.


 
 

David Kajman

20/05/2017



Il y a des fois où je lis des livres et où j’ai le sentiment qu’en quelques pages, tout est dit. Ça arrive avec la poésie (Eluard m’a fait ça, une fois), et ça arrive avec les essais. 

C’est qu’on l’a beaucoup entendue, ces derniers temps, l’idée que « tout est plus complexe », appuyée de regards suspicieux parce qu’on a essayé de bouger un petit doigt. Mais les tenants du « tout complexe » oublient souvent une donnée : eux-mêmes. Eux-mêmes, comme point de départ le plus entier et le plus honnête pour penser la politique. Eux-mêmes comme sujets souffrant de la dite complexité qu’il s’agirait pourtant de ne pas bousculer.

Si l’on parle du monde comme d’une étoile lointaine dont on comprendrait toutes les réactions chimiques sans pouvoir influer dessus, il est sûr qu’on ne risque pas de changer grand chose.

On ne comprend le complexe qu’en y prenant part. Alors oui, ça crisse, ça rentre en conflit, prendre soin d’un rêve ou d’une idée implique de ne pas s’attarder sur les voix discordantes quand celles-ci sont malveillantes. Mais c’est comme cela, je crois, que l’on fait mouvement.

 

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