Adage n°7.1. : Qui vivra... / M. Rosellini



Adage n°7.1

 

 
Qui vivra verra
 
 


Michèle Rosellini

31/03/2020

Le plus bref des adages. Le plus condensé aussi, avec son effet de répétition sonore en v, r, a. Pas très percutant toutefois. Banalisé par ses applications. Sert à faire patienter celui qui s’inquiète du futur, le voudrait par avance défini, ou se soucierait d’influer sur son avènement. A celui-là l’adage répond : à quoi bon s’en préoccuper ? il suffit de se laisser vivre pour parvenir sûrement à ce qui adviendra – nécessairement, sans qu’on ait à se préoccuper de la forme que cela prendra. Aussi est-ce l’adage du désengagement, voire du je-m’en-foutisme. On le perçoit quand on l’essaie dans des situations concrètes. La réforme des retraites ? quel imbroglio ! qui vivra verra… La loi de programmation pluriannuelle de la recherche ? que de débats ! qui vivra verra… A quoi bon analyser, protester, résister ? se mettre martel en tête ? il en sortira bien quelque chose et on s’en accommodera. L’accent est mis sur le voir, posture préférable à toute action. Après tout, on verra bien ! et on aura épargné le temps perdu par d’autres à prévoir et à concevoir. Cette formule refermée sur elle-même n’éveille pas l’élan d’attente anxieuse ou de défi qui anime l’invite du Roseau au Chêne – « Mais attendons la fin » –, grammaticalement et émotionnellement tendue vers son dernier mot.

Si le voir est aussi valorisé, dans son évidence confortable, c’est que le vivre ne fait pas problème : « qui vivra » est à peine une condition, la pensée ne s’y attarde pas : continuer à vivre va de soi et ce chemin sans à-coups conduira à coup sûr vers la révélation modeste de ce qui aura lieu sans qu’on y ait pris part.

Et pourtant… Il y a des situations, comme celle que nous vivons en ce moment sous la menace d’un virus omniprésent et imprévisible, où conjuguer vivre au futur n’est plus un exercice si simple. « Qui vivra » s’entend alors comme une hypothèse, tremblante d’incertitude. Le chemin vers la vision promise s’imagine plutôt comme un terrain miné, une étendue de sables mouvants, une crête trouée d’abîmes, et l’esprit, englué dans un présent répétitif, doit mobiliser toute sa puissance d’échappement pour se projeter au-delà, par la légèreté oubliée du saut.

En récompense, si nous y parvenions, que désirerions-nous voir ? Certes pas le monde comme il va, ni l’ancien repeint aux couleurs du neuf. Mais peut-être l’éclosion au grand jour d’expériences que nous faisons à tâtons et à petite échelle dans l’obscurité de nos retraites forcées. Par exemple (la liste n’est ni exhaustive ni unanime) : la lenteur des travaux et des jours, la réinvention des gestes du quotidien, le silence des rues et des places, le son des cloches dans la ville, le souci des absents, l’amour (et l’amitié) de loin, l’accord des collaborations impératives et des solidarités spontanées, le renoncement sans frustration à la consommation et le réenchantement des communications à distance. Le morne et rebattu « qui vivra verra » en serait tout revigoré.

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