Abécédaire

 
 Ravissement n° 2
 
 


Christian Drapron

09/05/2015

Comme l’œil ébloui tente de mettre au compte d’une seule image une suite d’apparitions  éphémères, le ravissement erre en mal de mots pour se dire. Ainsi chez Phèdre,  « pâleur » et « rougeur », ne peuvent énoncer que successivement les affects nés simultanément à la  seule vue d’Hippolyte.  C‘est pourquoi l’emphase polie de la formule: « Ravi de faire votre connaissance » dit faiblement ce que les extases de Thérèse d’Avila ou de Jean de la Croix portent à la limite de l’inexprimable. À l’inverse de la reconnaissance mondaine le ravissement suppose à quelque degré un arrachement ou une absence à soi-même et au monde. Dans la crèche provençale, le « ravi » n’est autre que l’idiot du village que la contemplation de l’enfant Jésus soustrait un instant à sa disgrâce.

Pour qu’il y ait ravissement, il faut donc qu’un tiers – puissance terrestre ou céleste, charme ou coup de force, excès de douceur ou de violence - s’en mêle.  Passé le cap de l’éblouissement ou de la sidération, l’objet « ravissant » attire sur lui l’ombre du rapt, de  la prédation, du viol. Ce qui « ravit » est également « à ravir » et suscite son ravisseur.

Le ravissement tient de la transe fascinée qui suspend l’étreinte ou la mise à mort. S’il n’est consenti,  il cède à la terreur ; ainsi Néron fait-il enlever Junie. En revanche, le ravissement réclame la distance pour mieux jouir de l’abandon sans avoir à s’y livrer ; ainsi, chez Duras,  Lol V. Stein assiste-t-elle aux ébats de Tatiana Karl et de son amant.

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