Abécédaire
Carlo Brio
21/03/2015
L’on se demande si l’homme a apprivoisé le chien ou si ce n’est pas la compagnie du chien qui a contribué au processus d’hominisation. Parmi les animaux domestiques, à peine se souvient-on de la mouche, animal qui habite, ininvité, toute maison, insecte qui passe, traverse, tache les espaces, en rappelant la fragile illusion que sont les murs, en nous apprenant que la distinction entre l’extérieur et l’intérieur n’est qu’une symbolique et que le dehors, quand il veut, peut pénétrer l’espace clôturé avec l’aisance … d’une mouche. Celle-ci est un hôte indésiré, et le jeu étymologique, trivial, entre hospes et hostis rappelle qu’une mouche est aussi un ennemi : l’extermination des mouches chez moi est une pratique courante, même mon chien est capable de participer à la chasse. Mais, nonobstant le dévouement, elles reviennent, toujours. La mouche hante tellement la vie humaine qu’on en fait aisément un symbole, elle se charge de beaucoup de choses, notamment de notre attention extenuée par l’inattention qu’elle procure, devenant un exercice de méditation.
La mouche, d’abord, est une petitesse. Presque un rien, elle nous dégoûte souverainement, qui s’est posée sur la merde, la pourriture, les charognes : l’on imagine qu’elle a été partout, que le peu de centimètres de son corps porte le halo du dehors monstrueux. On les hait car elles sont indifférentes à tout : on les voit hanter la mansuétude d’une vache, je les ai vues butiner dans l’œil impuissant d’un cheval, elles sont où la mort commence son empire : les mouches sont sages, ne discriminant pas parmi les superficies : sur les vivants et sur les morts la mouche va et vient.
Un presque rien, sans remède elle nous dérange, aiguisant le sens de chaleur, se promenant sur les bras, les orteils, sur la bouche interrompant une conversation ou un soupir, nous réveillant avec sa loquacité moleste, détruisant les instants de concentration. On peut passer quelques temps en en regardant une de près (ça arrive, surtout aux enfants) : ses pattes ne se lasseront jamais de se frotter l’une sur l’autre, la mâchoire toujours suçant, comme les mains de celui qui médite inlassablement. Une mouche dans la chambre et nulle pensée n’est plus possible : c’est pour ça que le chasse-mouche est une marque royale, la mouche devenant le symbole des pensées bourdonnantes qui troublent l’esprit – de sœur des rats elle se fait jumelle de la tête humaine, une vanité, qui tourne à vide.
Vanité de la mode : coquets et coquettes pendant le XVII siècle ornaient le visage avec des mouches. Vanité du barbier : la mouche est une touffe de barbe que les hommes laissent pousser sous la lèvre inférieure. Les crânes des Vanités s’offrent à la mouche qu’y rappelle, peinte, son office. Vanité des efforts : Fly est un épisode de Breaking Bad qui tourne entièrement autour de la présence invisible mais sensible de cet insecte.
La mouche rappelle aussi que le printemps est arrivé, que la chaleur ouvre les œufs de la génération : on voit apparaître une mouche après des mois de rigueur et l’on sait que le climat est en train de changer – dans la vie minuscule elle est un ambassadeur. L’on peut aussi se réjouir, la voyant.