Abécédaire

 

 
Vernis
 
 


Natacha Israël

06/07/2019

 

Le vernis, laque protectrice tirée d’un végétal éponyme au suc résineux, renforce la résistance d’une surface vulnérable à l’usure et aux intempéries, laquelle devient alors brillante en supplément.

Nous savons que ce supplément constitue parfois une finalité. Les ongles, par exemple, sont plus brillants que protégés grâce au vernis qui les empêche plutôt de respirer et fait perdre son lustre naturel – la kératine agissant aussi comme un vernis, mais de l’intérieur du phanère – à leur partie transparente.

Le callista chione (vernis en langue vernaculaire), lui, se targue d’être à la fois naturellement lustré et protégé grâce à sa coquille, à deux cents mètres de profondeur dans les océans. C’est l’absence de naturel qui, dans le monde humain, éclaire le fait que le mot « vernis » soit venu à désigner, en un sens figuré, l’usurpation d’un savoir ou d’une qualité – ce vernis s’écaille comme les autres.

Enfin, l’expression issue de l’argot « être verni » signifie qu’on a la chance de son côté.

Je suis « vernie » : je suis protégée par une main invisible (donc sans vernis).

Mes ongles sont vernis : ils sont beaux, mais je ne le dois pas à la chance ; je le dois à une substance apparente (ajoutée).

Les individus vernis, au propre comme au figuré, redoutent la formule : « c’est que du vernis ». Parfois, d'ailleurs, mieux vaut n’être pas verni au sens propre : si, pour la rendre imperméable, vous recouvrez votre rutilante tommette rouge d’une laque grisâtre, l’effet esthétique sera à pleurer, même si l’eau ne pourra plus s’infiltrer. Et parfois, cette fille se moque que ses ongles aient perdu leur vernis tout en me détestant d’être aussi « vernie ».

L’argot le dit : le « verni » serait celui qu’un destin préserve de tout malheur, mais seulement parce que ce malheur semble glisser sur lui sans jamais l’atteindre intérieurement. C’est l’indifférence au malheur, alors, qui ferait le bonheur ; autrement que le destin dont la volonté est inscrite dans les étoiles ou dans quelque grand parchemin établissant la trajectoire de chacun, l’insensibilité personnelle protègerait le « verni » tel un revêtement intérieur. Quitte à l’empêcher de vivre à plein la félicité, la joie, la caresse inattendues ? On ne serait alors pas « verni » d’être privé de cette aptitude, tout en étant « verni » d’être inapte à pâtir de certaines blessures.

En définitive, il existe tant de manières d’être « verni » ou verni et de ne pas l’être qu’on aimerait les expérimenter toutes pour vivre en caméléon parmi les caméléons. Je vais au-devant du malheur : de bleu pâle, mon intérieur cuir se fait bleu dur. Un bonheur se présente : ma tunique bleue fait place au peau-rouge à condition de baisser les défenses et que, diaphane, ma sentinelle privée autorise la publication de mes émotions. Si la peur le dispute à l’enthousiasme, mes joues clignotent : violemment roses en un instant, elles pâlissent aussitôt pour s’accorder à mes lèvres blêmes. Soudain, le regard de cet inconnu verdit : il n’est pas imperméable à la jalousie et se juge lui-même un peu dangereux mais beaucoup plus beau dans le miroir. Il passera tout l’été, nu et bronzé, dans ce grand kaléidoscope. Selon l’humeur, les ongles de sa compagne seront noirs ou flashy, luisants ou mats, lorsqu’ils saisiront d’infortunés coquillages et crustacés pour les porter à des lèvres trop glossy. Le lambris de la pergola sera aussi blond que la méridienne sera lasurée, la terre d’ombre de la terrasse aussi ocre que le fond de la piscine sera strié et azuré, toute différence abolie entre vernis et déverni.

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