Abécédaire

 

 
Coucou
 
 


Mathilde Faugère 

03/11/2018

 

 

À Pierre

Dans un coucou brinquebalant, le pilote jouait à coucou avec sa jeune voyageuse avant de partir à l’heure où sonne le coucou. Non loin de là des coucous chantaient, près des routes aux bas côtés parsemés de coucous, et Henri – ou Alphonse, ou Jeannot – faisait allègrement le notable du coin coucou

De quoi s’en donner à cœur joie... L’ensemble des sens est en même temps assez restreint et assez terre à terre pour qu’on ne s’y perde pas trop. De l’oiseau, l’on passe aisément à la plante qui fleurit à l’époque où il chante ; de sa silhouette à l’horloge de cuisine qu’il a parfois ornée à heure fixe ; de ses mœurs (le coucou pond ses œufs dans les nids des autres) à l’évocation d’une infidélité ; de son cri aux jeux de coucou et de cache-cache, au salut familier et même à la vieille machine, plus très rassurante, qui fait un bruit saccadé lorsqu’elle tente de démarrer (vaut pour tout type de moyen de locomotion un peu vieux et bruyant).

Le caractère enfantin du coucou d’abord frappe : c’est pour jouer. Le Henri de mon histoire ne fera pas grand chose de mal, le pilote et sa jeune voyageuse arriveront forcément à destination. Une conversation commencée par un coucou continue telle qu’on l’avait laissée il y six heures ou six mois. Même la femelle du coucou qui mange un œuf pour laisser de la place au sien est protégée par l’argument de nature. Et tout recommencera encore au printemps. On ne joue à coucou, à cache-cache que pour se retrouver. Tout va bien quand on dit « coucou »… Inaccessible ? On a tous grandi après tout, et les événements de la vie sont souvent peu propices aux coucous.

Ce n’est pas que l’enfance d’ailleurs. L’univers du « coucou » est aussi un univers dans lequel pour parler de mille choses différentes on a utilisé des noms d’oiseaux et d’animaux. Un univers où le chant du coucou était si familier qu’il servait de comparant évident pour parler de choses qui n’avaient rien à voir. Difficile d’imaginer aujourd’hui, même quand on vit au milieu d’eux, que l’univers du coucou, ou des canards, ou des chevreuils (ou de ce que vous voulez) puisse avoir été si prégnant, si présent sur le bout de nos langues. L’univers du coucou est infiniment daté, infiniment disparaissant. Tout aussi anachronique que la salutation susmentionnée « coucou »… Joie perdue ? Regret à l’arrière goût un peu amer ?

* * *

On dit souvent qu’il est impossible de dire « coucou » pour dire au revoir. Ce serait quelque chose comme un régionalisme ou pire, une particularité familiale [1]. Les sources sur le sujet sont assez minces. On a pu faire une hypothèse en faveur du coucou d’au revoir : si jouer à coucou signifie bien cacher son visage avec ses mains et se démasquer, le tout en disant « coucou », alors le « coucou » peut signifier à la fois le moment de l’absence et le moment de la présence… En réalité, le jeu d’enfant invite à dire coucou au moment où l’on se montre. Donc, oui, dire « coucou » pour « au revoir » est bien étrange.

À moins qu’il ne s’agisse toujours de dire que l’on ne se perdra jamais complètement.

[1] NdE : bien pratiquée par l’auteure, hélas…

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