Abécédaire
Noémie Bys
03/11/2018
Le mot désigne à la fois l’action cruelle et le caractère de l’acteur qui la produit. Le coup de poignard et l’assassin.
D’abord, il serait l’indice inhumain d’une méchanceté. C’est l’apanage des monstres, des bêtes sanguinaires, et parfois des mauvais rêves. Mais la cruauté ne vit pas que la nuit.
Sa dangerosité se dévoile par un sourire discret : aiguiser le couteau comme affuter le sourire. Qu’il s’agisse de Dieu, de l’Amour, ou de l’Ordinaire, la pulsion cruelle se revèle dans la motivation d’en jouir : J’aimerai en vous le mal que je vous fais.
Il suffit de l’absence d’empathie –circonstance précaire- pour que le geste cruel opère, et c’est sa gratuité qui le rend terrible. Ou plutôt l’apparence gratuite. Il mime l’implusion sans délicatesse, dessine des allures d’affront pour un duel qui n’existe pas (on a manqué de prévenir une des parties).
Cruel sadisme et cruelle histoire. L’abattage se déclare, par surprise.
C’est une carence de lien qui se joue dans une distribution verticale, jusqu’à l’effacement.
L’indifférence.
Un regard qui ne s’est pas donné, une ignorance à peine feinte, une humiliation qui ne pouvait être anticipée. Elle se reconnait dans la nécessité d’une exclamation. Une espèce de cri sourd qui se cogne contre rien, ou le vide, enfermé entre le « Oh » et son point « ! ». Différente de celle de la peur, plus déchirante que la lamentation.
Et l’acte cruel prend alors parfois, malgré soi, la forme d’un secret. Parce qu’il a tenté de nier son destinataire, celui qui le reçoit n’a pour seule défense que l’oubli, ou l’oubli dans la vengeance. Mais dans le blanc persiste le souvenir.
Peu à peu, la négation engendre une méfiance maladive : la cruauté commence à s’incarner dans la moindre interaction et la définition s’élargit. Tourbillon paranoïaque.
Il serait aussi facile de se laisser prendre à l’acte gratuit, la pulsion mauvaise sous couvert de défense, pour ne pas trop se couvrir d’amour. Faudrait-il excuser le geste, comprendre son départ.
Du reste, s’il s’agissait d’établir un catalogue des cruautés, petites ou grandes, la distinction tiendrait à la mesure de ses effets. Mais je crois que dans chaque particularité il n’y a pas de petits dommages : la cruauté salit.
Même dans les bacs à sable. Un enfant joue à en dompter un autre et par un impératif fixe les règles : l’autre devra aboyer.
Et puis, il y a la cruauté-réverbère qui consiste à jeter la blessure pour mieux qu’elle rebondisse. L’atteinte indirecte se joue du reflet, comme un point de non-retour.
Alors, c’est peut-être aussi ça la cruauté : la mort qui veille au fond des miroirs.