Abécédaire

 

 
Dromadaire n° 1
 
 


Augustin Leroy

18/11/2017

 Animal à deux bosses dont plusieurs voyageurs font mention mais que personne n’a vu. Il vivrait tapi entre les dunes du Sahara et se nourrirait essentiellement d’eau fraiche. Myrrha de Mégahr affirme qu’il apparait lors d’ancestrales tempêtes de sable dites tempêtes Mad-Air : on voit les dunes se soulever, les sillons creusés par le vent frémir, le désert se mouvoir. Toutes celles et ceux qui ont été témoins de ce phénomène racontent que c’est la dernière chose qu’ils aient jamais vue.

 De nos jours, on peut voir certains spécimens apparemment domestiqués. Ils forgent des alliances dans les parages du Caire, à proximité de Louxor et de Gizeh avec les gardiens des pyramides. Ma grand-mère a même eu la chance d’en rencontrer un alors qu’elle visitait les abords d’une nécropole. Présentée à lui par un malicieux gardien, elle lui trouva un air fort gentil – au dromadaire et non au gardien – et, s’accrochant à la bosse, l’enfourcha illico. Le dromadaire avait fait la révérence pour l’inviter à prendre place tandis que son compagnon espiègle flattait l’encolure de la cavalière en disant qu’on n’avait jamais vu une Dame du Nord monter si vaillamment à dos de Dromo. La balade fut plaisante jusqu’au moment où la Dame du Nord comprit que le dromadaire et son compagnon étaient de mèche, que leurs politesses impliquaient que non non, on ne descendrait pas d’un tel animal, ou alors seulement après avoir payé l’obole due au Prince des deux bosses, le grand Amad-R. Elle paya, déconfite et jura mais un peu tard, qu’on ne l’y monterait plus.

 Animal, disions-nous, que plusieurs voyageurs évoquent sans l’avoir vu. Certains en sont obsédés, au point de faire la course au dromadaire. On les appelle les Dromomanes, les Mad Travellers, vagabonds amoureux de la vadrouille, on les dit atteints de la folie du passage. Iggy Pop, dans la fameuse chanson « I am a passenger », reprend sans le savoir une prière égyptienne appelée la Drauma au cours de laquelle les prêtresses du temple d’Amon Madère suppliaient l’animal sacré de porter les papyrus au pays des morts.

 Comme le dit le dicton, les chiens aboient, la caravane passe. Les dromadaires sont des êtres de sable qui passent, les chiens sont les cerbères qui rompent les élans de passage. Leurs dents redoutables auraient anéanti la créature merveilleuse, disent les langues pâteuses, lourdes, impatientes d’en finir. Pourtant, il y quelques semaines encore, les ciels de Cherbourg s’orangeaient. Les dromadaires, venus de Mégahr et passés de nuit, étaient allés boire aux rivages de la Manche.

 Les Mégariques bègues, c’est lui qui les porta à Athènes. L’un riait, l’autre passait, tous deux transitaient. Des traces de la civilisation mégarique demeurent parmi nos pratiques quotidiennes, jusque dans le Short Message Sent : ne voit-on pas que dans le MDR se cache le rire des dromadaires passeurs de joie ?

 En somme, et après avoir compulsé les grimoires de la bibliothèque d’Alexandrie, je dis qu’il s’agit d’un être à bosses, figure tutélaire du rire et du passage, animal dont témoignent les voyageurs qui ne l’ont pas vu, sans quoi ils ne pourraient pas témoigner de ce qu’ils l’ont vu. Ergo, je fais confiance au dromadaire que je n’ai jamais vu pour me faire traverser ce paradoxe en riant. 

 

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