Abécédaire
Hélène Merlin-Kajman
22/04/2017
Celui-là me chagrine.
C’est celui du démagogue.
Je l’avais oublié. Il s’est rappelé à moi une nuit d’insomnie grâce à Brice Tabeling qui l’évoquait dans sa propre définition. Il avait raison.
Pour le démagogue, le peuple est une force qu’il faut capturer.
Le démagogue emploie les mêmes moyens depuis la nuit des temps : il flatte la colère et la détresse, en soulage par le rire, la rancœur et la haine, attise toutes les passions en excès, sans oublier les siennes probablement, pour les greffer sur des justifications disproportionnées.
Le démagogue est l’homme de la disproportion. Il invective, car le peuple a des ennemis impitoyables et ignobles, dit-il, des ennemis que son éloquence se plaît à dégrader en des termes de longue mémoire qui ont peu de rapport réel avec l’ennemi en question.
Ce peuple-ci, qui ne naît sous l’éloquence du démagogue que dans les périodes où il souffre (d’injustice, de misère, de sentiment d’abandon), se sent soulagé par cette haine : elle lui paraît démontrer que le démagogue, lui au moins, l’a compris et qu’il l’aime.
Mais qu’en est-il au juste ? L’aime-t-il ?
On est tenté de répondre « non ». Le démagogue ne connaît du peuple que ce qui frémit à sa parole et à ses gestes. Il redoute sa liberté. Pourtant, il n’est probablement pas toujours aisé de distinguer si le démagogue n’agite le peuple que pour la puissance qu’il lui donne, ou parce qu’il espère ne faire qu’un avec lui et verser cette puissance au service de sa propre cause, la cause du peuple, qu’il juge bonne.
Je veux dire par là que le démagogue pourrait bien être sincère. Ceci fait une différence entre les démagogues. Quoique fragile : un dictateur fou et haineux a la sincérité de sa folie.
Mais il est une différence plus importante à mes yeux : tous les étendards des « causes bonnes » ne se valent pas.
Donc les peuples soulevés par les démagogues ne se valent pas non plus.
Mais alors, c’est que l’existence de la démagogie n’est pas un critère suffisant pour expliquer et comprendre qui donc est ce peuple soulevé par le démagogue.
J’en conclus qu’en dépit de mes insomnies, mon post-scriptum n’est pas désespéré. Certaines configurations de peuple attisées par un démagogue porteur de parole solidaire gardent en elles, malgré la menace des mauvaises passions, les traces et l’espoir d’une solidarité.