Saynète n° 113.2
Banfi, Angelucci, Shepard, Moore, Onorati,
Delli Colli, Tafani, Cattarinichi, Magistretti,
Normann, Tasso, Tiberi, Harris, Ridolfi, Liberati,
Sisi, De Leonardis, Errico, Potts, Ferretti,
Free, Muygleston, Castellani, Agati,
Lucchini, Sabatini, Brescini, Proietti,
Muratori, Diamanti, Aurellotti, Pettani,
Carlino, Simili, Grassi, Cancellara, Fochetti,
Chessari, Micolizzi, Bosi, Polidoro,
Nozzoli, Porro, Bergamini, Monacchia,
De Santis, Sisi, ne savent pas que la profondeur
De l’automate qui, inspiré et inlassable, travaille
N’est pas ici : que, à cause de vous, il frappe
Aux portes de lui-même et ne répond pas.
Pier Paolo Pasolini, Sonnets, traduction et postface de René de Ceccatty, édition bilingue, Paris, nrf / Poésie Gallimard, n° 476, 2012, p. 107
Guido Furci
03/10/2020
Banfi, Angelucci, Shepard … : comme c’est souvent le cas, un enchaînement de noms propres entraîne un effet d’anonymisation. C’est ce qui se passe dans les génériques que la plupart des gens n’arrivent pas à lire jusqu’au bout, même au cinéma. Au fond, les trois premières strophes du Sonnet 50 sont un générique.
Londres-Rye : un lieu de tournage – et pour certains de pèlerinage – où il ne reste presque aucune trace des Contes de Canterbury. Deuxième volet de la « Trilogie de la Vie », ce film me rappelle mon premier blocage au lycée. Il avait duré environ une semaine (c’était peu après les émeutes anti-G8 de Gênes, en 2001). On dormait dans les salles de cours et dans le grand amphithéâtre, où nos nuits étaient scandées par des projections de films des années 1970. Je ne savais pas quoi penser de ce que je vivais. Je ne savais pas trop quoi penser des films de Pasolini non plus. J’avais l’impression qu’ils finissaient souvent par dire le contraire de ce qu’ils voulaient/devaient. Et pourtant, bien que cela ait scandalisé pas mal de gens – à l’époque je n’étais pas au courant, je le découvrirais quelques années plus tard –, moi ça m’a plutôt donné envie d’en savoir plus, non seulement sur le réalisateur, mais aussi sur l’homme, sur l’intellectuel, sur le poète.
Faites pour être regardées plus que lues (quoique l’arrêt sur image nous permette de lire beaucoup plus aisément que d’habitude), les trois premières strophes du sonnet nous renseignent sur la vacuité des présents, en réifiant ceux qui, en revanche, manquent à l’appel. Ninetto (Davoli) appartient ici à cette dernière cohorte. C’est à lui que s’adressent les carnets de voyage et de travail, avec tous les vers qu’ils contiennent. C’est sans doute pour lui l’enjambement qui rapproche en une seule phrase « profondeur », « automate » et « inspiration ».
Dans un essai à plusieurs égards fondateur, Franco Fortini affirme, non sans provocation, qu’il existe deux catégories de poètes : les poètes « obscurs » et les poètes « difficiles ». (Pas étonnant que l’essai en question, publié en 1991 dans la revue « L’Asino d’Oro », s’intitule Oscurità e difficoltà.) Selon Fortini, la poésie obscure n’est pas faite pour être comprise jusqu’au bout, autrement dit il s’agit d’une poésie dont les vers sont pensés pour qu’ils demeurent, malgré tout, (quelque peu) « indéchiffrables ». La poésie difficile, en revanche, est une poésie qui ne se dévoile pas de prime abord, mais dont les vers sèment suffisamment d’indices pour que le lecteur, tel un détective, puisse trouver une interprétation fiable et « résoudre le mystère ». Dans le discours de Fortini, il est clair que très souvent, pour déchiffrer un poème « difficile », il suffit de connaître un nombre suffisant d’éléments issus de la biographie de l’auteur qui en est à l’origine.
Si l’on décidait de regrouper les poètes du XXe siècle en fonction des classements typologiques proposés par Fortini, il est fort probable que le nom de Pasolini figurerait parmi ceux des poètes « difficiles ». Aucun doute quant au fait que les Sonnets en sont la preuve. Et Ninetto une preuve (tout autant qu’une clé).