Sablier n° 3.13
Amina Legati
06/06/2020
Peaches and contemplations
Les badauds n’étaient pas au courant, apparemment Dieu non plus.
Le temps s’arrête et avec lui mon discernement, les heures décidément ont toutes la même gueule et l’a capella des tictacs de ma vieille horloge retentit à en faire trembler les murs.
Tic-tac...tic-tac...tic-tac : le sentiment de vivre dans une salle d’attente. Et comme si cela n’était pas suffisant, les dalles de ma rue sont bien trop usées. Usées par l’ennui.
Mon canapé se lasse de moi et de ma façon quasi clinique de m’affaler dans la même position chaque jour. Fœtale à défaut d’avoir ma mère à mes côtés.
A travers ma lucarne je harcèle le même bout de ciel d'un regard inquisiteur : jusqu’à quand ? Ce trou béant c’est quoi ? Pourquoi moi ?
Le rayon de soleil m’arrache à mes pensées et brûle la noirceur qui m’envahit le temps d’une seconde. Au même moment une fenêtre s'ouvre et laisse échapper des airs de bossa nova, une autre s’ouvre sur une dispute, la mélodie chantonne et les hurlements deviennent des cris.
Plus le temps continue à ne pas passer, plus le plafond me semble étranger. Tantôt blanc tantôt gris, à chaque nouveau détail je m’émerveille. Il est temps de sortir.
Entre deux crises d’angoisse, les canards barbotant naïvement dans la Seine me sauvent de moi-même. Ils se dorent la pilule au soleil joyeusement, insouciants, bien loin de la chloroquine. Je leur avais apporté des fraises ce jour-là.
Le cœur serré, le chemin de la “maison” m’écrase. Le parquet grince son mécontentement, épuisé par ma présence.
Agueusie imaginaire, le confinement des corps s’était fini. Le voisin tape au mur, la dissociation s’arrête enfin.
11 mai, mes pensées intrusives sont libérables, pourtant les voilà. J’aurais voulu faire le deuil d’une jeunesse à peu près heureuse, mais le mal n’a pas attendu la crise sanitaire.
En bas, deux chats se promènent, j’atteste que descendre les voir est un motif impérieux. Il semblerait que nous ne sommes pas tous à équidistance de la démence.
9 vies, impossible qu’elles soient toutes pénibles.
Les yeux polis des statues semblent se morfondre de l’absence des passants, il n’y a que mon ombre éteinte et apathique qui se mêle à la leurs.
A deux pas d’ici le vacarme des restaurants inanimés me parasite l’esprit. Le sol se retrouve en disette forcé, les tables ont le ventre vide et les chaises sont dépeuplés.
Je fais les cents pas dans ma chambre et je dessine de nouveaux carrefours. Sur le rondpoint de ma table basse je m’arrête et contemple les restes de ma raison : l’hécatombe.
La dépression se mêle à l’odeur du souffre dans les rues de Paris. Ville lumière qui m’enténèbre, “l’enfer même à ses lois”. Quel bonheur d’arpenter Rivoli sous Rivotril, madame courage me caresse du creux de la main.