Sablier n°1.2.
Augustin Leroy
23/03/2020
Comment nomme-t-on, vous savez, ces boules tournantes qui réfléchissent la lumière qu’on trouve sur les toits de Paris et qui vous attrapent l’œil lorsque, distrait, on se promène dans l’air ? Version diurne des boules à facettes ? Epouvantails à pigeons ? Elles semblent tourner sous l’impulsion d’une force inconnue et rester indifférentes à nos préoccupations.
Jeudi : la journée est belle, chaude. Difficile de croire qu’à sortir me promener le long du canal de Saint Denis, je risque une amende, l’atteinte du virus. Difficile d’accorder le sentiment du printemps à celui de l’imminence des deuils et des morts. Les papillons dansent avec les fantômes.
Je lève la tête de mon ordinateur. En face, par l’embrasure de la fenêtre, des façades, une grue jaune, le ciel bleu et une boule réfléchissante… qui s’est arrêtée de tourner. Comme le monde barricadé contre le virus ? L’analogie est tentante mais, en relisant mon texte, je sens que mon désir d’images traduit ma peur du réel, de sa crudité, de sa cruauté, implacable. Coronavirus n’est pas une métaphore et le monde qui s’arrête de tourner, pour d’autres, c’est vivre un cauchemar bien réel.
Par ma fenêtre grande ouverte arrive la rue qui n’est pas déserte, je le perçois aux sons qui traversent l’espace et qui entrent et sortent de mon salon, comme lorsque M. improvise un air de flûte traversière sur un rap de Ninho, que des morceaux de classique archi-connus cohabitent avec du rap contemporain (à qualité variable) sur un fond d’Ennio Morricone, qu’il y a encore du monde dans le monde, des airs dans l’air, une autre forme de contagion, le son et la lumière qu’on sera bien en peine de confiner. Chacun augmente le son de ses enceintes pour libérer un peu de présence par le ciel de sa fenêtre, fait ce qu’il peut pour habiter le monde en étant confiné chez soi. Et le soir, 20h, la rumeur des applaudissements, un « nous » lointain, fugace, clairsemé, réel lui aussi.
Evidemment, de la rue viennent aussi des sons autrement plus désagréables : « personne dans les rues à Saint-Denis ! », « rentrez chez vous ! », « Un mètre, un mètre », hurlaient hier une armada des policiers dont le travail compliqué a tendance à rendre l’air irrespirable. Parfois les sirènes, une grosse quinte de toux, un raclement de gorge suivi du bruit délicat d’un gros crachat sur le trottoir. La maladie et la sécurité, aussi, ont leur musique et face à la diversité des bruits du monde, il faut bien se décider : prêter l’oreille à la flûte plutôt qu’aux sirènes – et rire de la bêtise du gros bourrin qui crache à terre en temps d’épidémie.
Tout à l’heure, j’irai prendre l’air au bord du canal, malgré tout. Aux reflets des boules sur les toits répondent les miroitements de l’eau de la Seine, à deux pas, où il fait bon se promener. Les arbres fleurissent, les berges s’habillent, le printemps arrive. Je lève les yeux à nouveau : ma petite boule de lumière a repris son mouvement.