Exergue n° 130

 

 

« Mon chien auquel je suis attaché est mort aujourd'hui.  »

Adrien, élève de collège

 
 


Virginie Huguenin

13/06/2015

Au détour de la correction d’un devoir sur table de cinquième dont un exercice consistait à inventer une phrase subordonnée relative, la copie d’Adrien m’interpelle.

« Mon chien auquel je suis attaché est mort aujourd’hui ».

La phrase est correcte d’un point de  vue syntaxique, rien à dire là-dessus. Cest le sémantisme de la phrase qui m’arrête. Peut-être une réminiscence du cours a-t-elle conduit Adrien à employer le verbe « être attaché ». Pour le reste, je n’ai pas parlé de chien. Je n’ai pas parlé de mort. Le reste vient de lui et c'est ce qui rend sa copie intéressante à mes yeux d’enseignante.

Ce qui est de lui, aussi, cest cette façon curieuse de conjuguer les verbes. Je relis la phrase : quelque chose cloche, évidemment, dans l’emploi du présent de l’indicatif  au sein de la première proposition. A sa place, j’aurais écrit « « Mon chien auquel j’étais attaché est mort aujourd’hui ». Je prends mon stylo rouge et je m’apprête à rayer le verbe conjugué au présent. Voix passive. Présent à la voix passive puis passé composé. Je m'arrête. Je pose mon stylo et je relis sa phrase.

Adrien est un petit garçon qui écrit assez bien. Ses résultats sont très bons et je crois qu’il a une bonne connaissance de la langue française pour son âge. Alors je choisis de lui faire confiance et de faire l’effort de lire quelque chose dans sa courte phrase.

Je constate qu’Adrien a conjugué son premier verbe au présent de l’indicatif là où pour ma part j’aurais placé de l'imparfait. Le passé composé de la deuxième proposition réitère la forme du verbe « être » au présent, commune aux deux sujets de la phrase : « je » et « mon chien ». Les deux sujets sont donc liés par le présent, « l’aujourd’hui ». Pourtant, insensiblement, entre la première et la deuxième proposition, Adrien a glissé du présent au passé, de ce qui est, à ce qui n’est plus. Mais il l’a fait très doucement. Bien plus doucement que s’il avait utilisé l'imparfait qui aurait définitivement fait basculer son chien dans le passé, ainsi que l’amour qu’il lui portait.

Et j’aime l’idée que cette phrase puisse l’aider à apprivoiser, aujourd’hui ou demain, la perte d’un être aimé.

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