Exergue n° 29
« "Rites de passage" – c’est ainsi qu’on appelle dans le folklore les cérémonies qui se rattachent à la mort, à la naissance, au mariage, à la puberté. Dans la vie moderne, ces transitions sont devenues de moins en moins perceptibles et il est devenu de plus en plus rare d’en faire l’expérience vécue. Nous sommes devenus très pauvres en expériences de seuil. L’endormissement est peut-être la seule qui nous soit restée (mais avec le réveil aussi). Et, finalement, les fluctuations de la conversation et les variations sexuelles de l’amour oscillent aussi autour de certains seuils, comme les variations des figures du rêve. »
Walter Benjamin, Paris, capitale du XIXe siècle. Le livre des passages,
Paris, Cerf, 1989, p. 512-513.
Hélène Merlin-Kajman
30/03/2012
— Vraiment ! Vos transitions sont donc un « retour à » ? Nous voici encore dans la déploration ?
— Comment cela, encore ? Avons-nous l’habitude, ici, de faire vibrer la corde de la nostalgie, de pousser des cris de lamentation ?
— Je n’invente pas : des « transitions de moins en moins perceptibles », une expérience vécue « de plus en plus rare »... Difficile de ne pas reconnaître une opinion désormais courante : la disparition des rites de passage ferait stagner la jeunesse dans l’adolescence, bercerait les adultes dans l’illusion de leur immortalité, confondrait les sexes, même. Rétablissons-les pour endiguer de funestes déformations symboliques...
— Vous lisez mal. Benjamin ne transforme pas un constat en cri d’alarme. Il parle de « pauvreté ». Pas de nudité. La pauvreté en expériences de seuil n’est pas sans promesses. Elle libère l’espace du seuil lui-même : « Il faut distinguer soigneusement le seuil de la frontière », précise-t-il plus loin. « Le seuil <Schwelle> est une zone »...
— Encore une de vos pirouettes !
— Pourquoi pas ? Nous aimons Arlequin, et les scènes. Endormissements et réveils, conversations, amours, rêves : que vous faut-il de plus ? A nous de faire varier leurs figures, leurs promesses... Je vous le concède, cela ne résoudra pas tout, cela peut même paraître futile en un sens ! Mais cela peut nous aider à nous déprendre du voeu de tout catégoriser...