Exergue n° 98
« On est tenté de croire que le langage du poète est celui du maître : quand le poète parle, c’est une parole souveraine, parole de celui qui s’est jeté dans le risque, dit ce qui n’a encore jamais été dit, nomme ce qu’il n’entend pas, ne fait que parler, de sorte qu’il ne sait non plus ce qu’il dit. […] Mais interpréter ainsi la parole de l’art de la littérature, c’est pourtant la trahir. C’est méconnaître l’exigence qui est en elle. C’est la chercher, non plus à sa source, mais quand, attirée dans la dialectique du maître et de l’esclave, elle est déjà devenue instrument de puissance. Il faut donc tenter de ressaisir dans l’œuvre littéraire le lieu où le langage est encore relation sans pouvoir, langage du rapport nu, étranger à toute maîtrise et à toute servitude. »
Maurice Blanchot, Le Livre à venir,
Paris, Gallimard, Coll. « Folio essais », 1959, pp. 48-49.
Natacha Israël
30/11/2013
Extérieur, nuit. On est dehors, sans accès au sommeil, au pouvoir des rêves et au divertissement des images-fantômes : tous les hôtels et tous les cinémas sont fermés ; toutes les conversations sont lasses ; même un club à la mode est la promesse d’être rejeté hors de « soi » en y étant admis et d’être l’otage dépersonnalisé et interdit du bruit au lieu d’y sentir son propre corps, enfin, et d’improviser, dans les ténèbres dissipées, sur des « sentiers fleuris de roses », une danse pour Zarathoustra. Et, tandis que celui-ci demande pardon pour la nuit qu’il n’a pas su empêcher de tomber, on est dépourvu de toute justification à l’intuition qu’il s’agit d’entendre « l’usure du jour » (comme dit Blanchot), de lui témoigner soi-même de l’hospitalité, sans s’emporter. Alors déjà, peut-être, on est poète avant d’avoir rien écrit…