Exergue n° 113
SECOUSSE
BROUF
Fuite à jamais de l’amertume
Les prés magnifiques volants peints de frais
tournent
champs qui chancellent
Le point mort
Ma tête tinte et tant de crécelles
Mon cœur est en morceaux
le paysage en miettes
Hop l’Univers verse
Qui chavire L’autre ou moi
L’autre émoi La naissance à cette solitude
Je donne un nom meilleur aux merveilles du jour
J’invente à nouveau le vent tape-joue
Le monde à bas je le bâtis plus beau
Sept soleils de couleur griffent la campagne
Au bout de mes cils tremble un prisme de larmes
désormais Gouttes d’Eau
On lit au poteau du chemin vicinal
ROUTE INTERDITE AUX TERRASSIERS
6 Août 1918
Louis Aragon, « Secousse », Feu de joie,
Bibliothèque de la Pléiade, n°533, Paris, 2007.
Julien Jeusette
22/03/2014
Dans l’Univers déchiqueté jusqu’à l’os, fraîchement enterré sous les miettes d’un paysage éclaté par un BROUF, le poète clignant de l’œil saisit soudainement qu’il a frôlé la mort. En 1918, la survie entraîne immanquablement la solitude, mais cet homme renaît au monde en embrasant un éclatant et paradoxal feu de joie qui consume l’amertume. Remède contre l’horreur, le langage poétique devient puissance d’être, émerveillement allant jusqu’à effacer le préfixe du sur-vivant. L’enthousiasme étincelant projette la possibilité d’un avenir à la faveur de l’imaginaire intarissable et polychrome qui filtre la brutalité guerrière.
Mais ne nous méprenons pas : Route interdite aux terrassiers. Rebâtir le monde plus beau ne signifiera jamais aplanir l’horreur pour mieux l’oublier, mais bien se donner les moyens d’y vivre malgré tout. Bouffée de joie, la métaphore déprime l’amer.