Exergue n° 179

 

 

 

 

J’aurais certainement moins peur de [la mort] (pas seulement de la mienne, mais de celle de Welty, d’Andy, de la Mort en général) si je pensais qu’une personne familière venait nous chercher à la porte parce que – en écrivant cela à présent je suis au bord des larmes – je pense à ce pauvre Andy qui, le visage terrifié, m’avait dit que ma mère était la seule morte qu’il ait connue et aimée. Donc… peut-être que lorsqu’Andy avait été rejeté en crachant et en toussant dans le pays de l’autre côté de l’eau, peut-être que c’était ma mère qui s’était agenouillée à côté de lui pour l’accueillir sur ce rivage inconnu. Peut-être que c’est idiot d’articuler de tels espoirs. Mais en même temps, peut-être que c’est encore plus idiot de ne pas le faire.

Donna Tartt, Le Chardonneret, Éditions Plon, Pocket, p. 1030. Traduit de l’anglais par Edith Soonckindt.

 
 

 

Virgnie Huguenin

04/05/2019

 

Théo n’a que 13 ans quand sa mère perd la vie dans l’explosion d’une bombe. Le roman est le récit d’une vie déviée par cette mort irréparable. Le lecteur assiste à la descente aux enfers de ce jeune garçon qui voit disparaitre un à un tous ceux qu’il aime dans un récit où l’alcool, la drogue, les petits et les gros larcins sont les réponses à une existence qui se délite. Un tourbillon de vie et de catastrophes subies sans patience, sans beaucoup de larmes non plus. Atone et défoncé, le personnage franchit les années.

 J’ai accompagné Théo au fil des pages, triste de le voir se piquer au lieu de pleurer. Et puis enfin, à une cinquantaine de pages de la fin du roman, une autre réponse qui fait transition.

 Cette autre réponse prend la forme d’une petite histoire. Sa dimension religieuse, induite par la « porte » (du Paradis ?) voire mythologique (ce rivage ferait-il référence à celui qui borde le fleuve des Enfers ?) ne m’échappe pas mais je note qu’elle ne revêt pas la forme solennelle et grave à laquelle je suis habituée. Le petit noyé, Andy, semble avoir traversé la mort comme une longueur de piscine qu’on peine à terminer. Et voilà le Styx transformé en bassin olympique (cette idée me fait sourire et m’apaise), dont on crache l’eau non fatale avant de s’enrouler dans une serviette bien chaude tendue par des mains familières – celles d’une mère fictivement partagée.

 Témoigner de la perte douloureuse d’une mère et d’un ami et en accueillir l’émotion sans se laisser submerger par elle, c’est ce qu’autorise cette petite fiction. Cette dernière n’opère pas de transition sur le plan narratif mais ouvre sur une scène intérieure au personnage qui permet une communion d’ordre empathique avec le lecteur en lui épargnant toutefois une affliction trop grande. Parallèlement, sans appuyer et l’air de rien, elle soulage une angoisse eschatologique propre au personnage et peut-être au lecteur, les unissant à nouveau dans l’espoir que « peut-être », quelqu’un nous attendra nous aussi « dans le pays, de l’autre côté de l’eau ».

 

 

 

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