Adage n° 27.2 : Il n'y a que la vérité qui blesse / H. Merlin-Kajman
Adage n°27.2
Hélène Merlin-Kajman
03/07/2021
C’est un adage tout en paradoxe.
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Il est difficile de l’imaginer prononcé hors d’une situation d’interlocution. Je ne me le dis pas en me l’adressant à moi-même à haute-voix. Mais je ne le dirais pas non plus à propos de moi-même en prenant quelque ami à témoin ; pas même si c’est un tiers, absent, qui m’a blessée. Non : c’est mon interlocuteur triomphant qui me jette la phrase au visage après m’avoir dit quelque chose de volontairement blessant. Et comme si ses phrases cassantes ne suffisaient pas, il prend argument de mon émotion pour enfoncer son clou plus profondément dans ma plaie.
On se noie.
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De vérité, il n’est plus question même s’il arrive que sa méchanceté soit lucide. Mais sa lucidité tue la mienne et m’annihile.
Il y a des adages faits pour aider à vivre : ils font sentir que le monde, aussi dur qu’il puisse être, a quelque chose comme des bras pour vous accueillir, vous réconforter, vous guider parfois. Pas celui-ci : il fouine, il fouille d’un air de rien à l’intérieur de vous-même, il attaque, il mord, il écrase : il met son pied sur votre nuque, et il appuie...
Oui, mais…
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C’est aussi un adage désespéré. Il me suffit de m’imaginer dans la position inverse. Je suis face à une personne dont le déni est la règle. Elle se conduit sans foi ni loi avec moi. Je la prends en flagrant délit de trahison, enfin ! et je le lui dis. Elle s’offusque d’autant plus que j’ai raison et qu’elle le sait. Oh oui bien sûr que je vais enfoncer le clou, oui… Je ne triomphe pas, ou si peu. Je suis moi-même tellement blessée, tellement amère. J’ai simplement réussi à amorcer une (provisoire) sortie de l’enfer. Je veux lui montrer que je ne suis pas sa dupe. Que, de sa blessure offensée, elle ne pourra tirer l’argument qui lui permettrait de conclure à ma culpabilité.
Oui, mais…
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Je sors de la scène à deux. Ce qui m’étonne dans cet adage c’est à quel point il dit vrai tout en ratant la vérité, en la ratant même totalement.
Il décrit un certain piège où quelque chose de vrai se noue. Comme dans l’emprise. Comme dans l’inconscient. Mais il en rate l’effet bénéfique possible parce qu’il prétend à la maîtrise. En établissant un rapport de causalité univoque, il interdit l’attention flottante, la bienveillance, la rêverie qui dérive, la délicatesse qui interroge...
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Je le garde pour moi secrètement. Je m’observe seule sous son œil rigoureux. Je jette son « ne… que » par la fenêtre : ça fait entrer un peu d’air.
Il arrive que la vérité blesse ; et je cherche à tâtons où s’est logée cette vérité.