Adage n°17.1 : Il faut que jeunesse se passe / A. Leroy



Adage n°17.1.

 

Il faut que jeunesse se passe.
 
 

Augustin Leroy

04/07/2020

 

Cet adage m’agace parce qu’il ordonne, sans la moindre personne grammaticale pour désigner un sujet qui ordonne et assume cet ordre. Certes, c’est une propriété définitionnelle des adages que de généralement parler du général. Oui mon général, « il faut » ! Mais l’ordre me frappe comme un jugement sur la nécessité de laisser la jeunesse derrière soi. Or je suis jeune, me sens jeune, n’ai aucune envie de ne plus l’être. La jeunesse est une durée qui traverse les moments biologiques qui organisent, de façon variable, selon les points de vue, notre vie de labeur, d’activités sportives, sexuelles, intellectuelles, etc. Elle n’est pas un fragment d’une frise biologique mais une énergie qui se manifeste dans le regard porté sur le monde. C’est un penchant au plaisir de jouer – avec le(s) sens, les positions de chacun, l’apesanteur, les règles du jeu, les risques de coup de soleil.

Mais j’ai lu trop vite. Il faut que jeunesse se passe et que je ralentisse la vitesse de mes interprétations, qui fusent parfois au mépris de la réflexion. En effet, la tournure réflexive infléchit le sens du verbe, qui devient synonyme de l’expression « avoir lieu ». Ainsi, ce n’est plus un adieu à la jeunesse qui se dessine mais une cartographie et un calendrier pour l’entretenir. En somme, l’adage souligne la nécessité de pouvoir vivre la possibilité d’être jeune, par opposition aux situations où la jeunesse est empêchée. Elles sont nombreuses et différentes mais je crois pouvoir écrire, en résumé, que les enfances éventrées n’ont que difficilement et de façon très coûteuse le temps et le lieu pour être jeunes. Rester attentif à la fragilité de la jeunesse est, je crois, un principe d’éducation fondamental pour le suffisamment bon devenir des âges de l’existence.

Cependant, mon contradicteur imaginaire me gronde : allons, tu défends la jeunesse parce que tu crains de la quitter. Ton raisonnement n’est qu’une stratégie argumentative pour te rassurer parce que tu te sens de vagues fatigues que tu ignorais autrefois. Peut-être. Mais quelle argumentation n’est pas mue par un désir silencieux, doucement pervers, qui se manifeste sous d’autres mots, noms, masques ? En outre, mon problème, « jeunesse », n’est pas qu’une notion désignant un contenu de significations. C’est une attitude, un rythme, une allure de l’existence - je l’associe à celle du météore, parce que c’est l’allure de Rimbaud que j’ai lu jeune et dont Mallarmé dit qu’il est ce « passant considérable ». Ecrire « Que jeunesse se passe », c’est, additionnée à celle du temps et de l’espace, une proposition de circulation : la jeunesse se transmet et circule d’individus en individus quel que soit leur âge biologique. On peut ne pas la recevoir comme ne pas la relancer. Dans L’enfant, de Vallès, la mère organise le meurtre de la jeunesse du narrateur, sans doute parce qu’elle en a été privée aussi. Au contraire, j’ai un souvenir de la grand-mère dans La Recherche comme d’une femme éternellement jeune et cela s’explique parce que le narrateur fait l’expérience du temps de sa jeunesse à ses côtés et qu’il nous, lecteurs aux âges divers, la destine.

Du reste ma grand-mère aussi pousse le paradoxe à exploser de jeunesse lorsque, répondant à l’énième coup de téléphone publicitaire pour un obscur magazine sans intérêt, elle simule la sénilité et la démence pour se débarrasser du fâcheux qui l’appelle et raccrocher dans un immense et si jeune, éclat de rire.

 

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