Adage n°2.2. : Les chiens hurlent... / H. Merlin-Kajman
Adage n°2.2.
Hélène Merlin-Kajman
07/12/2019
J’aime d’abord l’image : le désert, la lenteur solennelle de la caravane, sa grandeur, comme un ruban, le mouvement rêveur des chameaux, la résolution des voyageurs impavides, les traces qu’elle laissera derrière elle, chaque instant qui la mène vers sa destination finale, indifférente à tout sauf à son but, hiératique ; et la poussière soulevée ; et l’aboiement des chiens, leur fureur hurlante, si bruyante et si vaine, qui finira par s’éteindre quand la caravane sera passée et qu’eux seront lassés…
(Je sais, ma caravane est un rêve, car en vrai, des enfants pleurent dans les bras des femmes, des mouches harcèlent le bétail, des hommes traînent leurs chevilles gonflées en poussant des mules encombrées de sacs trop lourds pour elles. Oui, je sais…
Mais tout, dans un adage, n’a-t-il pas la précision d’un rêve ?…)
J’aime ensuite, quoiqu’elle m’étreigne, une différence de compréhension immense, qui est aussi une différence de situation.
Si la caravane, c’est moi : j’ai du courage et de la fierté à aller mon chemin. Les chiens ne peuvent rien sur moi. Qu’ils hurlent, qu’ils étouffent le son de mes pas, qu’ils me rendent invisible, inaudible, tant pis ! Ce n’est pas à eux que je m’adresse. Je ne leur lance ni sucre ni viande, je ne cherche pas à les flatter. Je les dépasse sans m’émouvoir. Et tant pis si leur hargne aura tant duré qu’ils m’auront écarté des meilleurs points d’eau, des plus belles oasis…
Mais la caravane, ce sont peut-être tant de personnes justes et vaillantes, à ces moments dans l’histoire où tout se saccage. Alors, j’ai envie de crier : faites attention aux chiens ! Laissez tomber des obstinations, jetez-leur de quoi manger, méfiez-vous de ces moments où l’on croit les avoir dépassés, mais pour les retrouver au tournant, augmentés d’autres chiens, d’autres bêtes venues de confins connus et inconnus, augmentés même (écoutez !) de certains êtres sortis de la caravane, pris par la peur des chiens, gagnés par leur bruit, par leurs cris…
(« Il ne faut pas se moquer des chiens qu’on ne soit hors du village », me souffle alors la sagesse d’un autre adage.)
Et alors, tout s’éteint. Mon cœur se serre… C’est si long, de sortir d’un village, quand tous les chiens sont dehors…
A moins que, sagesse et espoir suprêmes, il ne soit possible de tout concilier ? Résolution et prudence ?