Abécédaire
Virginie Huguenin
23/05/2015
Le mot « ravissement » est aujourd’hui peut-être moins employé que le terme « ravi(e) » que, pour ma part, j’utilise beaucoup. Je dis par exemple « Je suis ravie de vous avoir rencontrés » ou « je suis ravie de vous revoir » pour signifier à ceux à qui je parle que j’éprouve une grande joie à les retrouver.
Pourtant je sais que le terme « ravissement » a pour sens premier celui « d’enlèvement ». Je le sais : donné-je donc dans « l’emphase polie » pour reprendre les mots de Christian Drapron ? Non. Non pas que la politesse emphatique me rebute (je n’y ai pas réfléchi) mais je sais ce que je fais quand je prononce les termes « ravie » et « ravissement ».
Je me pique. Je me repique. Je m’inocule ce terme par la bouche. Je le roule et le fais rouler sur ma langue dans le but clair et parfaitement assumé de le désémantiser, d'en ôter tout le danger. Car du ravissement je ne veux garder que la joie que j’obtiens en passant « l’extase » et la dépossession de soi au tamis lucide de mes paroles répétées. Je suis ravie sans être aux anges. Je suis ravie mais bien à moi.
Sabines, Phèdre, Lol : si leur ravissement est beau, il ne l’est que pour nous, extérieurs à elles, qui regardons leur malheur, terreau de cette joie trop extrême, de l’autre côté de la page. La fiction est un tiers salvateur pour nous lecteurs. Mais pour elles ?
Ni Sabine, ni Phèdre ni Lol, je ne serai pas ravie à moi-même ni à mes proches. Mais je serai heureuse, et même très heureuse.
Et tant pis pour les anges.