Sarah Nancy

11/04/2015

Ce que le territoire devient sous notre regard. « Partie de la surface terrestre » en tant qu’elle s’offre aux récits et aux descriptions. Donc pas de paysage sans explorateur, sans promeneur, sans peintre, sans spectateur (« paisage : aspect d’un pays », écrit Furetière) ? Oui, phénoménologie obligée. Et notre regard, comme la lumière qui fait les couleurs.

Tout, à ce titre, peut être paysage. Depuis tous les points de vue, quelle que soit l’échelle. Par le trou de la serrure, vu d’en haut ou de biais, l’univers, la fourmilière, la situation économique, les tensions de l’esprit, le conflit des émotions, le visage.

En fait, il faut préciser. L’échelle importe, mais comme résultat, non comme condition préalable. Elue paysage, toute chose en acquiert les dimensions. Et dans cette opération, la nature ne disparaît jamais vraiment. Au-delà de sa présence dans les définitions traditionnelles (en peinture : « représentation d'un site généralement champêtre, et dans lequel les personnages ne sont qu'accessoires »), elle semble toujours servir de principe organisateur – à la coiffure d’Albertine, dont les « ondulations […] descend[ent] en vallées régulières jusqu'à la nuque » (Proust) ; aux yeux de Clara, « comme un lac de Ruisdaël, où se mirent l’azur du ciel, l’émail des fleurs, et les feux animés du jour » (Hoffmann).  Le paysage est fidèle à la nature, au moins par métaphore. Le corps féminin le sait bien (et n’en demande peut-être pas tant).

C’est facile, donc, un paysage.  Il suffit de sentir. Car la vue n’a pas, bien sûr, l’exclusivité : il y a des paysages sonores (Murray Schafer), des paysages en tous sens, dans la bouche et sous les mains.  Le monde n’y est pour presque rien. Il suffit d’être là.

Ce qui est déjà moins facile, parfois : être là. On n’y arrive pas, et « ça ne fait pas bien dans le paysage ». Que faire ? S’aventurer dans les paysages des autres ? Serait-ce que le paysage se partage ? A voir.