Abécédaire

 

 
Fièvre n°4
 
 

Augustin Leroy

12/01/2019

 

 

1. Selon le Trésor de la Langue Française, « état morbide caractérisé par une élévation de la température du corps ». Pourtant, j’ai froid. Si la fièvre traduit une température plus élevée, pourquoi ai-je si froid, grelottant sous ma couette tandis que les gencives me lancent ? Pourquoi cette ultime cruauté qui consiste à dire aux enfants de prendre un bain d’eau froide alors qu’il fait déjà si froid ? Un bain chaud me paraissait plus désirable, au point de souhaiter l’augmentation de la chaleur jusqu’à l’évanouissement. Alors viennent les sommeils peuplés de rêves étranges où se confondent les hélices qui ornent l’avion de plastique accroché au plafond et les lames de lumière qui agitent l’obscurité sous mes paupières closes. Dans les phases d’éveil, néanmoins, quand je vais chancelant jusqu’aux toilettes, la terreur s’installe, froide, tenace : ma fièvre annonce la mort. D’ailleurs, la voici qui toque à la porte de ma chambre. J’étouffe sans pouvoir appeler à l’aide, mes doigts faibles cherchent un pan de tissu pour me couvrir, paraître mort aux yeux de la Mort. La porte grince, mes dents claquent. Un ange apparait ou plutôt une ombre chaleureuse déposant à mon chevet un verre d’eau et un doliprane, avant de recouvrir mon front d’un gant de toilette frais. L’ombre parle et me fait une promesse : « tu ne vas pas mourir, ce n’est qu’une fièvre passagère ». Rassuré, je me rendors dans les hélices du sommeil.

 2. Au figuré, la fièvre désigne un état émotionnel où l’agitation de l’esprit va de pair avec le trouble du corps. Les pensées fusent en tous sens tandis que mon cœur bat à tout rompre. Ce trouble n’est pas nécessairement la manifestation de l’inquiétude. Il témoigne seulement d’une perturbation, d’un agencement inattendu entre un évènement extérieur et la cohésion apparente de ma vie interne. La rougeur des amoureux au moment d’échanger un premier baiser, fébrile, tremblant, incertain, me paraît être une scène exemplaire de cette perturbation. Peut-être même que, succombant sous les draps, fantasmant la venue imminente de la mort, je suis doublement fiévreux : au sens propre comme figuré.

 3. Par analogie, un état fiévreux peut caractériser l’émotion collective d’un peuple en émoi. Certains tendent à exciter la fièvre du monde afin d’asseoir leur pouvoir. D’autres recherchent l’apaisement et vantent les vertus de la raison froide, lucide. Je crains que la fièvre collective n’ait pour effet de simplifier l’hétérogénéité du corps politique. Au lendemain, alors que la température a descendu, le jour pourrait éclairer un monde agonisant plutôt que convalescent.

 Ainsi, la fièvre désigne tout à la fois un moment et une métamorphose passagère, transitoire. La maladie, l’amour, la révolution. En elle-même, elle n’est ni bonne ni mauvaise. Certes, elle peut être vécue comme un moment déplaisant, mais ce déplaisir a toujours une issue nouvelle, dont l’exemple le plus extrême serait ou bien la mort ou bien la santé augmentée du souvenir de la maladie passée. Dans Le Peintre de la vie moderne, Baudelaire écrit que « la convalescence est comme un retour vers l’enfance », dans la mesure où l’œil qui s’ouvre sur un monde neuf y perçoit une intensité nouvelle, un chatoiement de vie similaire à celui qu’éprouve l’enfant curieux et passionné de nouveautés. Sans m’appesantir sur le fantasme de l’enfance paradisiaque et du mythe originel qu’il implique, je retiens la douceur de la comparaison et de l’euphonie : papillonnant de l’œil au lendemain d’une fièvre historique, convalescent, je découvre à chaque poussée de fièvre les délices d’un avion haut perché sur un plafond de nuages.

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