Abécédaire
Natacha Israël
30/06/2018
Si, un jour, n’existe plus de week-end ni même de semaine mais seulement la série des jours enchaînés et à peine comptés, contrairement aux heures obsessionnellement comptabilisées…
Si, un jour, n’existe plus que le refrain des heures – de labeur, de désœuvrement, de loisir ou bien de plaisir – dans la ville qui retentira moins du bruit de nos pas que de nos cris, étouffés ou aigus, parfois transformés en textos (« je suis hyper-à-la-bourre », «pas dispo pour l’happy hour, pas plus pour un after work », «il n’y a plus d’après », « l’agence du temps est déjà fermée, j’y crois pas », « ça profite à ces contrevenants qui m’ont encore fait perdre un quart d’heure ce matin au débarquement de l’Hyperloop » )…
Il nous restera « Week-end à Rome » (Daho), « It’s Friday I’m in love » (The Cure), « Saturday night at the movies » (The Drifters), « Drive in Saturday » (Bowie) ou même « Spent the day in bed » (Morrissey), pour convoquer à nouveau l’Esprit du week-end, « the week-end Spirit »…
Et si, un jour, n’existent plus que des livres audio pour transmettre la voix des écrivains et des poètes, fussent-ils du dimanche, ils nous feront entendre le récit de cette démobilisation générale dont l’intensité figure aujourd’hui encore l’enthousiaste mobilisation pour une guerre dont chacun se promet de revenir plus reposé, plus bronzé, plus amoureux, meilleur surfer, volleyeur ou musicien, plus avancé dans sa lecture, plus riche de papillons, photos, coquillages, ou de souvenirs de la « bande », d’alcool, de tisanes detox et de films, de la résidence secondaire, etc.
Mobilisation générale, branle-bas de combat, cette fois non en vue de décrocher mais de raccrocher les hamacs, fuir les coups de canon et prendre le large au plus tôt : les écoliers se dispersent en courant et en criant plus fort que d’habitude, on leur a dit de se dépêcher ou bien ils se hâtent vers des activités refusées les autres jours, vers ce parent qu’ils ne voient qu’un week-end sur deux, tout leur va pourvu que ce soit le plus loin possible de l’école ; à la même heure, en masse, les yeux rivés sur leur montre et sur les horloges, les employés qui se retrouvent seulement ce jour-là dans le même bus que les lycéens, courent vers un train de banlieue, un Intercités, un Blablacar ou leur véhicule personnel ; les patrons, directeurs, cadres, dirigeants sont partis un peu plus tôt avec leurs dossiers, pour aller travailler « au vert » ; les immeubles se vident d’un coup comme après une alerte tandis que les gares s’emplissent comme pour un exode forcé.
Sauve qui peut ! Cette guerre-éclair doit permettre à chacun de se réfugier en lui-même ou bien hors de soi. Or, pour moi, « week-end » rime surtout avec « musique » et, notamment, avec « chanson », parce que je ne peux m’évader qu’une heure sur deux, de façon aléatoire. Précaire du week-end, je loge toujours dans un entre-deux – ni l’un ni l’autre, ni début ni fin, ni oui ni non, là où le principe de contradiction n’opère plus clairement.
Entre l’ancien monde et le monde annoncé : celui du branle-bas général qui devance le grand silence des capitales, l’agitation des villes balnéaires, les tâches de couleur sur la mer, sur les lacs et dans les airs, les pique-niques dans les parcs, les jardins, les prés, le bord des chemins et des rivières ; et celui où tournerait en boucle le décompte obsessionnel des heures (de labeur, de désœuvrement, de loisir ou de plaisir, alternées dans l’incertitude de pouvoir disposer un jour d’un seul jour entier pour le far… niente).
J’ai jamais attendu le soir
Pour m’enivrer de ton histoire
Raconte-moi les océans
Les espaces et les sentiments
Une chanson fait tout dérailler et m’embarque sur d’autres rails que je suis très volontiers. Ce passage-là était bien, c’est vrai… Encore et encore, [mon] p’tit train s’en va dans la campagne, plein d’entrain… jusqu’à Rome, bien entendu.