Abécédaire
André Bayrou
26/05/2018
Ils en étaient convaincus, les âpres disciples d’Épicure, que les simulacres naissent partout où la vie phosphore. Qu’ils sont la sueur et l’usure des choses, la poussière d’épiderme qui s’abandonne sous le toucher du vent, de la main, de la pluie, ou simplement l’émanation, la signature, infime dans l’air, de tout ce qui a existé.
Ils enseignaient que ces grains de poussière pris dans le faisceau de nos regards déclenchent au fond de notre esprit les illusions du jour – le mirage d’un lac sur une route goudronnée, le souvenir d’avoir rangé la clé dans la poche où elle n’est pas, le nom propre assigné par erreur –, et puis, celles de la nuit, les rêves, les fantômes, les visages qu’on aimait et qu’on ne retrouvera jamais.
Car nos sens ne nous trompent pas, disaient-ils. Seul notre esprit oublie de dissiper la méprise.
Et si les écrans multipliés autour de nous, sur nous, tout contre nous, leur lumière bleue la nuit et pâle le jour, produisent en continu les songes vils ou beaux qui nous repaissent, si les présages publics sont troublés par des nuées de leurres ou de spectres, par des accidents simulés ou dissimulés, c’est toujours la flottaison des particules sous nos yeux, qui portent le souvenir des choses tangibles.