Abécédaire
Boris Verberk
14/04/2018
Orphée est apparu nu à l'Opéra. Son corps complètement imberbe n'avait qu'un pudique sous-vêtement couleur chair qui lui donnait cet air asexué auquel seuls les anges sont sensés prétendre. Il ne pouvait en être autrement. Lui qui parvient à mettre les sons en ordre de manière à émouvoir les bêtes, les dieux et les monstres ne peut s'encombrer de poils. Ces derniers poussent avec trop de hasard, sans constance, sans harmonie, sans s'entendre. On les voit sortir à l'improviste du nez ou des oreilles, accompagner les verrues. Ils marquent l'âge, autant quand ils poussent que quand ils tombent. S'il y a un signe de l'entropie, c'est bien le poil.
Pourtant, Orphée s'entoure de barbares barbus, de femmes sauvages, d'animaux poilus. C'est avec eux qu'il chante et vit.
La poésie a besoin du poil. En poussant au petit bonheur la chance, il l'inspire. Si souvent elle parle des cheveux qui poussent avec constance et politesse, se laissant domestiquer, elle se comporte comme le poil. Elle aussi aime jouer, parfois être insolente, imprévue. Elle aussi n'est pas toujours convenable.
Elle s'accompagne parfois de celui qui pousse dans la main. Soit en le laissant aller, oisive. Soit en cultivant frénétiquement cette fleur rare. Au professeur autoritaire qui veut l'arracher, elle écrit les plus belles injures sur ses cahiers d'écolier.
La poésie sait qu'elle a besoin du poil. Peut-être même n'existe-t-elle que pour lui. Pour que, plutôt que sous la menace, ce soit par émotion qu'il se hérisse.