Abécédaire

 

 
Nage n° 2
 
 


Gilbert Cabasso

10/03/2018

 

 

Souvenez-vous que « les petits poissons dans l’eau nagent, nagent, nagent nagent, nagent, les petits aussi bien que les gros ! » C’est une jolie comptine, mais elle est injuste : les bébés humains nagent aussi, sans l’avoir appris. Ils le font très tôt, joyeux, sans doute, de retrouver les réflexes, conservés du temps de leur gestation, de ne pas avaler l’eau et d’ouvrir leurs yeux, de bouger leurs jambes et leurs bras. « Les petits, les gros, nagent comme il faut. Les gros, les petits, nagent bien aussi » Et c’est « par droit naturel qu’ils le font, et que les gros mangent les petits »…

Nous avons désappris cela. Nous y sommes progressivement revenus, nous avons dû prendre conscience que nous pouvions flotter, apprendre à nous soutenir, à faire l’effort de nous déplacer, par toutes sortes de mouvements pas du tout naturels : techniques complexes de nos bras et de nos jambes, de notre respiration, de la synchronisation de l’ensemble, plus ou moins efficace, plus ou moins rapide. Aux uns, la douceur de la brasse coulée, aux autres l’énergie du crawl, aux autres encore, la fougue de la brasse papillon.

Joie du plongeon, de la poursuite de ses mouvements sous l’eau, joie de se retourner, de ne plus être, à la limite de la terre et du ciel, que ce trait d’union, d’épousailles des éléments. « Se perdre pour se retrouver, nager dans la lune et la tiédeur pour que se taise ce qui (en moi) rest(e) du passé et que naisse le chant profond de (mon) bonheur. » Jamais je ne nage sans penser au bonheur de Camus, sans me fondre en lui, sans rechercher en moi les mots qui me porteraient à une véritable ivresse, oublieuse des angoisses et des misères. En tous sens, je « nage en plein bonheur », comme si je ne pouvais trouver pour le bonheur d’autres métaphores que celle de la nage.

Je ne veux pas oublier que petits et gros poissons se mangent aussi « à la nage », ce délicieux court-bouillon qu’on agrémente d’herbes qui les parfument. Et, puisqu’il y va de notre plaisir gourmand, ne négligez pas les « nages de fruits », rouges, jaunes, oranges, fraîches et subtiles qui leur associent épices et senteurs en jus délicats qu’il ne faudrait pas trop sucrer.

Mais pourquoi faut-il que l’effort qui me met en nage me soit si désagréable et qu’il me faille me sécher ? Le plaisir se paie de ses suées ! Je déteste aussi, au propre comme au figuré, « nager en eaux troubles ». Décidément, nous ne sommes plus tout à fait des animaux marins.

 

 

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