Florence Dumora

23/09/2017

 

 

Cratylisme du zigzag. C’est un Z amplifié d’un mouvement pendulaire, un Z + un tic-tac. Contrairement aux bêtas dada dodo mémé nana zizi… mais comme les dansants fric-frac, mic-mac, tic-tac, hip-hop, zigzag est de ces mots qui signalent un couple de forces, yin et yang linguistique où toujours les voyelles claires précèdent et les sourdes suivent.

 

C’est aussi la démarche tanguée de l’ivrogne, celle du Boeing lors d’un atterrissage pas très réussi que tout à coup vous voyez s’afficher sur l’écran de votre voisin (le vôtre éteint avec une terreur superstitieuse rien qu’à l’idée de la caméra amarrée sous le nez de l’avion). Quelques instants plus tôt, la descente de nuit offrait à l’approche des villes d’incompréhensibles Cassiopées, dessinées en caractères cunéiformes lumineux sur la terre noire.

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J’ai changé de direction. Je trompe un adversaire. Je suis une proie – un lapin, un lièvre – plutôt qu’un prédateur.

Le zigzag n’est pas le contraire de la ligne droite, mais de la courbe. La ligne droite est peut-être un zigzag : question d’échelle.

La godille du skieur chevronné trace une sinusoïde parfaite dans la neige fraîche ; seul le skieur acculé aux traversées, n’osant affronter la pente, procède par zigzags.

Car le velléitaire le pratique autant que le tacticien : mémoire minuscule de la mouche dans l’air, du poisson dans son aquarium, qui semble changer d’avis alors qu’il a simplement oublié le segment antérieur ; ou au contraire mémoire supérieure du joueur d’échecs, qui fait avancer son cavalier sur l’échiquier, sans direction apparente, de sorte à ce que la cible atteinte le soit toujours d’un angle inattendu, qui se révèle a posteriori avoir déjà été là au coup précédent du coup précédent.

De même la boule de billard, contrainte par le cadre à un Z aussi parfaitement ajusté que la flèche de l’archer.

Zigzaguer n’est pas forcément louvoyer.

 

Comment avance le progrès ? comme le voilier tirant des bords ? comme le cavalier ? la mouche ? (version pessimiste)

Ligne brisée de Klee, de Michaux, du jazz (deux z) : le zigzag n’est pas classique.

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Il fait rire le bébé qui prévoit / qui ne prévoit pas le virage suivant. Il a à voir avec le trait d’esprit, le Witz (W, autre avatar)

Son modèle est l’éclair, qui dessine une ligne brisée dont l’effet n’est pas de ralentir la décharge électrique, mais au contraire de l’accomplir dans plusieurs directions en zébrant le ciel.

Pourquoi dit-on que l’éclair zèbre le ciel ? Est-ce à cause des rayures du zèbre ? Est-ce que l’éclair zèbre le ciel comme la crevasse lézarde le mur ?

Non, c’est à cause du Z, ce météore : « Ne voyez-vous pas dans la construction du Z une allure contrariée ? ne figure-t-elle pas le zigzag aléatoire et fantasque d’une vie tourmentée ? Quel vent a soufflé sur cette lettre qui, dans chaque langue où elle est admise, commande à peine à cinquante mots ? » (Honoré de Balzac, Z. Marcas, 1846)

Balzac (z central) fait du Z le prototype du zigzag. Un Z qui veut dire Zorro, une lettre hors la loi tracée à la pointe de l’épée sur le ventre du sergent Garcia. Le zêta grec étant inutile aux Latins, Appius Claudius Caecus – constructeur de la Via Appia – l’a fait effacer des abécédaires pendant trois siècles : z uero idcircuo Appius Claudius detestatur, quod dentes mortui, dum exprimitur, imitatur parce que, quand le z était prononcé, il imitait les dents d’un mort. Elle réapparaît en 81 av. J.C.

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Il y a des vies rectilignes, et d’autres en dents de scie, en montagnes russes, en pointillés, en ronds dans l’eau. Le zigzag n’est pas mal. Il peut permettre de dire de soi, sans invraisemblance : « dans une vie antérieure… » Cette vie-là partait dans une direction, et puis elle a bifurqué. Rencontres, séparations, échappées belles.

Nous sommes des moteurs à zigzags, notre cœur, notre cerveau font des zigzags. La ligne droite, c’est quand on n’en fait plus.