Abécédaire
Sarah Beytelmann
17/06/2017
Néologisme apparu au 19ème siècle, il est formé du grec « xenos », hôte, étranger, et de « phobos », peur. Le xénophobe s’oppose au « raciste » issu de la tradition vernaculaire. La création savante m’apparaît d’abord comme un progrès : le mot « xénophobe » me permet de parler de l’hostilité vis-à-vis d’hôtes étrangers sans me référer à un préjugé biologique ancré dans la pensée de la « race ». En bouche, « raciste » et « xénophobe » se distinguent aussi. Alors que le premier descend en gorge, et racle vers les tripes, le second appartient à la classe exotique des mots qui commencent par « x » et fait entendre un souffle apaisant dans toutes ses consonnes. Dans le passage de « raciste » à « xénophobe » il y a quelque chose comme un euphémisme, un adoucissement : une tentative d’apprivoisement d’une passion destructrice.
Or ce néologisme est un véritable succès lexical, qui a la vertu d’être à la fois savant et populaire. Ici, on en rit dans une série humoristique de « guides xénophobes » anglo-saxons à l’attention du touriste. Là, il hausse le ton pour mieux dénoncer, sur le mode de l’invective. Dans les « 11 Minutes 30 contre les Lois Racistes », le rappeur veut « combattre le racisme, le fascisme, le sexisme, et toutes sortes de xénophobes », expression qui se renverse pour évoquer la formule injurieuse rituelle, « espèce de xénophobe ». Un autre signe –cette fois inquiétant– de ce succès : on compte maintenant d’autres phobies politiques, comme celle de l’islamophobe ou de l’homophobe.
En passant du suffixe à l’affixe, le lexique nous offre un antonyme : l’antidote contre la « xénophobie », c’est la « philoxénie » – dont on ne recense pas beaucoup d’usages –, et l’ennemi juré du « xénophobe » serait le « xénophile », qu’on ne rencontre que trop rarement. Fausse alternative ? Dans cette pirouette lexicale les deux extrêmes de notre relation à l’autre demeurent liés comme les deux faces d’une même monnaie. En maintenant l’étranger comme une cible privilégiée de mon amour ou de ma haine, l’objet phobique se retourne en objet amoureux, sans que rien ne puisse garantir la stabilité de ces revirements passionnels.