Brice Tabeling

13/05/2017

On est toujours en retard sur la rumeur. Qu’on en soit la visée ou non, ce qu’on découvre, c’est qu’une parole nous a précédés. « Savais-tu que… ? ». La rumeur n’est pas l’information qu’elle colporte, peu importe qu’elle soit fausse ou vraie, mais la manière dont celle-ci relève d’un temps par rapport auquel nous sommes toujours en retard. C’est par là qu’elle nous humilie : elle nous devance et se tient toujours, pour cette raison, un peu hors de notre atteinte.

Peut-être cette temporalité n’est-elle pas tout à fait suffisante pour caractériser la rumeur. Il faudrait également préciser son lieu. Où est la rumeur ? On a envie de dire : tout autour de nous. Mais où exactement ? Exactement, on ne sait pas, car elle circule, à peine entendue, elle est déjà ailleurs ; ce qui est sûr, c’est qu’elle nous enveloppe. Elle a la présence de l’eau quand on s’y noie, ou de l’air qui, lui aussi, ne cesse de nous précéder. La rumeur est une spatialité générale et molle de la parole, et d’un temps d’avant.

La rumeur relève-t-elle du langage ? Face à la rumeur, certains médias se sont donné pour mission de la passer au crible du sens et du référent (le fact checking) et d’en révéler les circuits de propagation (ses origines, ses relais souvent informatiques). Mais comment localiser le « tout autour » ? Comment vérifier une simple précédence ? L’examen factuel (sémantique, référentiel) oppose-t-il quoi que ce soit au vague de son chemin, à son emprise étale, à l’évanescence du sujet qui la relaie et à l’abattement de celui qui la subit ? Sur la scène politique, le fact checking lui-même est retardataire, il corrige une factualité à laquelle la rumeur est souverainement indifférente.

On discutera en vain du sens et de l’exactitude de la rumeur de la mer, de celle d’une foule tumultueuse ou d’une armée qui, au loin, s’avance.