Abécédaire
Eva Avian
18/02/2017
J’ai de nouveau rêvé qu’il y en avait partout, que je ne pouvais plus m’en débarrasser. La veille, j’avais, en effet, dû expliquer le sens du mot « vermine » à mes élèves, qui, dans une troublante unanimité, lui donnaient pour synonyme le mot « enfant ».
Ça a commencé au début de l’été, précisément quand j’ai commencé à passer plus de temps chez moi. C’est là que ça s’est mis à me démanger. Je n’y ai d’abord pas prêté attention, accusant chaleur, fatigue et eau chlorée. Ce n’est que quand j’en suis venue à me gratter au sang que j’ai consulté mon moteur de recherche.
En ligne, les messages de détresse répondaient aux conseils alarmistes. Partout, les témoignages de ceux qui avaient tout quitté pour fuir : j’avais vécu dans l’ignorance d’un phénomène considérable, mon regard se dessillait.
Bientôt, je n’osais plus dormir chez moi. Chez les autres, j’avais peur de porter le mal après moi et éprouvais un sentiment de rancœur (pourquoi était-ce encore « chez eux », par quelle injustice, quelles précautions avaient-ils été épargnés ?). À ceux qui ne me croyaient pas, je dévoilais un coin de peau rougie avec gravité.
On me dit que ça avait commencé à Paris depuis des années, qu’il allait falloir tout jeter, ça allait me coûter cher. J’appris que, à l’instar de la rage ou de la gale, il n’y en avait plus eu pendant longtemps, mais qu’elles étaient revenues du fait de la mondialisation, elles s’accrochaient à vos valises. Je l’ignorais, mais on avait brûlé des wagons entiers de la ligne 11 qu’elles avaient contaminés. Une vendeuse de produits ménagers soupira : « Parfois, on n’y pense pas, et on s’assoit dans le métro ». Consternation : je m’étais toujours battue avec acharnement pour m’assoir, je ne pensais donc à rien.
Je me mis à vivre une vie un peu nomade, guettant les signes qui désormais me sautaient aux yeux, examinant ma peau avec une tendre attention, ne pénétrant chez moi, quand il le fallait, que sur la pointe des pieds.
Quand il ne m’a plus paru important de revenir, deux hommes de la mairie de Paris sont intervenus, tout en armes et vêtus comme pour la grande Peste. Avant de me faire sortir, l’un a soulevé un coin de tapis, l’autre décollé le bout d’une affiche, et je me suis hâtée d’expliquer que non, je ne les avais jamais vraiment vues, mais que j’avais eu peur.
Mes amis en rient désormais, prudemment, respectant le souvenir de ma panique et de mon exil pour quelques mois encore. Je ne saurai jamais si des punaises se dissimulaient dans mon lit, derrière le plan de Paris collé au mur, entre les plinthes de mon parquet. Seul mon cauchemar vient encore me parler de la peur bien réelle qui m’a saisie, l’été dernier, et de l’écho de panique encore plus inquiétant que suscitait, chez mes interlocuteurs, le récit de mon invasion.