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Benoît Autiquet 

 


02 avril 2022

Quelle forme pour un cri ?  

Comme le rappelle Hélène Merlin-Kajman dans L’animal ensorcelé, la littérature est constamment confrontée à la part inarticulée du langage humain, dans un espace de transition entre la phone et le logos. Et depuis le mois dernier et la conversation critique d’Augustin Leroy sur un extrait de Qui si je criais ? de Claude Mouchard, c’est la question du « cri », celui de détresse propre aux temps de guerre et à l’œuvre qui en témoigne, qui continue de nous préoccuper. Ce mois-ci, Mary Shaw prolonge la réflexion autour de l’ouvrage de Mouchard, en s’interrogeant sur le statut de l’interlocuteur qu’enfante le témoignage. Par ailleurs, nous republions un texte que Martin Rueff avait écrit lors de la parution du même ouvrage, et qui posait le problème de l’invention d’ «une forme qui libérât un cri ».

Le texte critique soumis ce mois-ci à notre réflexion n’est pas étranger à ces préoccupations : il s’agit d’un extrait de l’ouvrage La dignité ou la mort de Norman Ajari. Or, la redéfinition de la dignité que le philosophe propose à partir de l’expérience afro-descendante de l’« indigne » pose aussi la question de la « forme » de la philosophie : quelle armature conceptuelle donner à une tradition de pensée dont les modes de transmission sont essentiellement artistiques ? Dans ma conversation critique, je propose d’étendre cette reconsidération de la dignité et de sa forme à la philosophie morale occidentale, et plus précisément à celle du XVIe siècle.

Serait-ce parce que les cris de la guerre sont à nouveau présents à nos oreilles qu’Hélène Merlin-Kajman et A. Leroy, dans leurs saynètes sur un texte de Jaroslav Hasek qui évoque « les derniers soupirs des mourants » et « le râle des chevaux écroulés » durant la première guerre mondiale, s’interrogent, chacun à leur manière, sur la possibilité même d’écrire de cet extrait un commentaire littéraire ? Le travail d’élaboration d’une forme peut (doit ?) néanmoins continuer, malgré la gravité des sujets qu’elle prend en charge : c’est ce que prouve le magnifique dialogue qu’entreprennent Michèle Rosellini et H. Merlin-Kajman autour de l’extrait d’Annie Ernaux qui, la semaine dernière, avait fait l’objet des saynètes.

Cris, guerres et époques hétérogènes : peut-on les comparer ? M. Rosellini se pose la question dans son texte qui porte sur le proverbe « Comparaison n’est pas raison ». Quant à H. Merlin-Kajman et Guido Furci, cet adage leur donne l’occasion de réfléchir, de manière plus légère, sur leur méthode de travail.

Bonne lecture !

B. A.

Prochaine saynète  : un texte de Imre Kertész.

Prochain adage : « Petite pluie abat grand vent ».

Prochaine conversation critique : Un texte de Judith Butler, tiré de Antigone, la parenté entre vie et mort, EPEL, 2003, trad. Guy Le Gaufey.

 

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