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Lise Forment

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Novembre 2017

 

Pour "nous"

On peut lire Transitions de deux façons : en suivant pas à pas les rubriques du site et ses formes (Abécédaire, Exergues, Saynètes, Fables, Roman feuilleton, etc.), ou en tissant des liens, ses propres liens, entre les textes, entre les images, entre les textes et les images. D’un côté, une lecture pour-soi, pour le soi de l’auteur, disait Barthes à propos des maximes de La Rochefoucauld : ici, c’est plutôt une lecture pour-eux, pour ce « nous » qui se dit, se répète, s’égare et se cherche à Transitions. De l’autre, une lecture pour-moi, pour le moi du lecteur qui peut cueillir sur le site ce qu’il aime, emprunter ce dont il a besoin (une réflexion ? une séquence d’enseignement ?), se reconnaître sous les traits d’un « je » (celui de Gilbert Cabasso ou celui d’Hélène Merlin-Kajman, l’un choisissant l’« altitude », l’autre la « bassitude » ?), ou même, quelquefois, sauter à son tour le pas du « nous ».

Dans les deux cas, pour-eux, pour-moi : l’horizon collectif du mouvement, qu’on (pour)suit, qu’on accompagne, qu’on quitte ou qu’on retrouve, qu’on embrasse ou qu’on repousse.

 

Car, comme l’écrit Mathilde Faugère, en se risquant à commenter le pamphlet de Valerie Solanas, « elles sont bien réelles, elles sont bien là, ces sensations de transitions impossibles, de fractures irrésolubles. Elles sont bien là », ces situations d’incompréhension, de colère, de désespoir qui font vaciller le « nous », ou qui font se former des « nous » indésirables, qu’il faut ensuite travailler à défaire, remettre sur le métier et retisser… Elles sont bien là, actuellement, quand « nous » (certaines je, de nombreuses je) rions ensemble de nous imaginer tailler les hommes en pièces, quand nous pleurons et rions contre eux – quand elle, Hélène Merlin-Kajman, elle tout contre eux, refuse « ce saut impossible » et nous retient tendrement, fermement au bord de ce commun-là, dans le Trouble.

« Elles sont bien réelles, elles sont bien là, ces sensations de transitions impossibles », quand, spectaculairement – historiquement –, l’anesthésie traumatique du sentiment fait modèle, quand le « sans pathos » se diffuse et menace de se figer en un nous asséché. C’est ce que pointe Pierre-Élie Pichot, c’est ce qui nous point.

Mêmes fictives, « elles sont bien là, ces sensations de transitions impossibles », quand les récits d’anticipation nous placent face à la fin du monde, face à la fin de toutes les transitions. Sur les ruines du langage détruit, Natacha Israël reconnaît pourtant dans le Dictionnaire des derniers hommes, Ceux du futur, un « possible recommencement », la promesse de nouvelles métaphores et de nouveaux liens, la permanence ou la reconstruction de « notre maison ». Et « pour le moment, maintenant, ça va », écrit encore Mathilde Faugère au sujet d’un autre roman de science-fiction, celui de la « dernière horde » du Contrevent.

 

Contre vents et marées, garder confiance, confiance en nous, confiance en l’autre. C’est le sens engagé et engageant que Tiphaine Pocquet choisit de donner au mot « croyance » ; c’est aussi « la réserve d’espoir inépuisable » que nous donne le « bulbe », « la plus belle promesse de l’année » aux yeux de Boris Verberk et Virginie Huguenin ; c’est encore le précieux soutien que nous apporte la « béquille », tellement triviale. Selon les mots d’Augustin Leroy, « je est un boiteux qui cherche avec désespoir des béquilles pour passer par la vie »… Une autre définition du « nous » se dessine alors : une simple béquille pour « boiter mieux » ? Si peu, me direz-vous ? Mais ce n’est peut-être pas si mal… en tout cas, ce n’est pas un « crime » ! Trouver des béquilles pour lutter contre « le sentiment durable de sa propre laideur » ; trouver des béquilles en contant à un ami un poème d’Hugo, en partageant son émotion ; trouver des béquilles pour se relever d’un texte qui blesse et aider les élèves à en faire de même ; trouver des béquilles dans nos discussions, à la table du séminaire, en formant, déformant et reformant notre « nous » (prochain débat avec Hélène Merlin-Kajman et toute l’équipe de Transitions, le samedi 18 novembre : « Trigger-warning, civilité et transitionnalité »…)

 

In the depths, we were trying our best.

  

Bonne lecture !

 

 

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